De l’art de se perdre dans un labyrinthe… (1)

Un labyrinthe on croit savoir ce que c’est, et puis une fois dedans, non on ne sait plus ! C’est pareil pour un livre d’ailleurs, c’est bizarre.

La fonction première d’un labyrinthe est de brouiller, de croiser les pistes pour que son créateur/explorateur/visiteur/prisonnier s’y trouve perdu dans les méandres, à l’infini. Le labyrinthe le plus achevé sera celui qui, donnant le sentiment au visiteur de maîtriser sa complexité, d’en avoir apprivoisé l’architecture, d’être sûr d’être sur le point d’en sortir, l’éloignera toujours plus loin de son but, de sa sortie. Le plus achevé sera le plus inachevé en somme.Et ses moyens de leurrer, de tromper son monde sont nombreux : carrefours répétés, impasses impavides qui guettent, hypertextes interminables, des trompe-l’œil habiles disposés sur les parois des murs, miroirs qui se renvoient la balle, des murs transparents ou coulissants, des trappes qui se dérobent, le « pavé inégal », des « couloirs silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle… »

Ce symbole a la force de se fondre en tout. Tout n’est pas dans le labyrinthe mais tout peut le devenir pourvu qu’on y retrouve l’errance, le fil qui relie les choses, l’enchevêtrement des lignes d’un tableau, la mémoire dans les circonvolutions du cerveau, la lumière au bout du couloir, une rue dans les souvenirs, l’enchevêtrement des branches, les linéaires de livres de la bibliothèque de Babel, celle de Borges.

Dans le couloir il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n’est pas infinie; si elle l’était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ?

Tout n’est pas le labyrinthe mais on s’accorde à le voir partout avec une aisance familière. Figure qui nous effraie et nous fascine à la fois. Lieu favori de la création parce que lieu de l’errance, de la perdition, de la mémoire, de l’oubli, de la solitude… On finit toujours par voir dans le labyrinthe un jeu d’interconnexion sémantique, thématique, onirique, voire inconsciente qui, à un moment ou un autre, se rattache à quelque chose de familier, de vivant en nous. Une sorte de réponse et de cause à tout, un exutoire et une proie faciles.

Tout pourrait être le labyrinthe, mais je ne veux pas et ne peux pas m’intéresser à tout sans prendre le risque de me disperser, de me disséminer dans la matière informe, de n’être qu’un centre de rien recherchant un improbable centre de tout. Se perdre, certes, mais pas n’importe comment.

Lire et écrire ? N’est-ce pas ces mouvement qui consistent à arpenter l’univers sans jamais en trouver la satisfaction ni de ce corps en mouvement dans l’univers, ni de ce labyrinthe qui reçoit ce corps rampant ?

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8 Comments De l’art de se perdre dans un labyrinthe… (1)

  1. ekwerkwe

    Il y a une entrée – y-at’il toujours une sortie?
    Sort-on par l’entrée?
    Y-a-t’il toujours une entrée?

    Le but du voyageur arpenteur du labyrinthe est-il la sortie?
    Un labyrinthe est-il un monde clos ou un passage?
    Existe-t’il plusieurs sortes de labyrinthes?
    Ou bien les différents labyrinthes que nous croyons repérer ne sont-ils que les infimes variations d’un principe général?

    Qu’est-ce qui est un labyrinthe?
    Qu’est-ce qui n’est pas un labyrinthe?

    Est-il possible de construire un labyrinthe?
    Si oui, qui peut construire un labyrinthe?
    Si oui, pourquoi construire un labyrinthe? pour cacher? pour révéler?

    Peut-on réellement se perdre dans un labyrinthe?

    Le temps peut-il modifier un labyrinthe?
    Qui entretient un labyrinthe?
    Que devient un labyrinthe à l’abandon.
    Qu’est-ce qu’un labyrinthe à l’abandon?

    Modifier un labyrinthe au moyen de cloisons coulissantes, est-ce tricher?

  2. Sébastien

    Que de questions Ekwe! Je ne suis pas sûr que la suite de mon propos réponde à toutes celles que tu te poses. Cependant tu as la clef de ce labyrinthe, et si ce sujet t’inspire, je t’invite à y explorer le sujet avec moi.

  3. ekwerkwe

    Toutes ces questions, c’est en fait un début de réflexion sur le labyrinthe que je voulais intégrer dans mes futurs billets. En fait, je trouve que tu le fais bien mieux (et c’est normal, c’est ton territoire).
    Mais ton billet (et mon passage à la bibliothèque, hier) m’a enfin donné l’Idée, plus littéraire mais fondamentalement labyrinthique, de la forme que vont prendre mes interventions.
    Si tout va bien, surprise dévoilée la semaine prochaine!

  4. InFolio

    « Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n’est pas infinie »
    Faut vraiment que tu lises du Pratchett. Tu y découvriras que toutes les bibliothèques sont reliées les unes aux autres par une distorsion de l’espace temps…

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