(Re)découvrir la poésie

La poésie, comme finalement bon nombre de choses essentielles à la vie, peut nous quitter complètement, nous déshabiter. L’abri devenu désert. C’est ce qui m’est arrivé pendant longtemps. La modernité voudrait passer sur nos vies comme un peigne, en les rendant plus lisses, plus droits, plus rangés, plus conformes à certaines images d’autorité, à une société où le seul repli possible semble être le divertissement (Pascal, Debord). On appelle ça vulgairement les contingences matérielles, le réalisme économique… Pragmatisme stérile, oui ! Combler sa brèche de vide en pensant que cela suffira à nous remplir c’est s’offrir une grande illusion… celui de finir par croire que nous avons… alors que nous sommes. Fondamentalement.

La poésie, j’y reviens toujours. Comme quand on se réveille brutalement la nuit, pris d’une soudaine angoisse, ou d’un vertige profond. J’ouvre les yeux, je lis, je fais résonner en moi le poème, la voix du poète dont je ne suis que la caisse de résonance. Le poète lance l’archet et le souffle m’atteint en plein visage.

Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident: j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

A. Rimbaud (Seconde Lettre du Voyant)

Plusieurs rencontres ont été par la suite déterminantes dans mon goût pour la poésie. La première, c’est la lecture des Lettres à un jeune poète de R. M. Rilke. Rencontre importante pour beaucoup d’amoureux des lettres. Car les mots de Rilke ne sont pas un cours magistral sur l’art de bien faire de la poésie (même si parfois le ton se fait didactique), ils ne sont pas les motifs d’un éveil, d’une initiation à la poésie ou de l’art en général, ils ne sont pas non plus que l’aiguillon d’une vocation littéraire. Les mots de Rilke touchent car ils arrivent à mettre en lien, de la façon la plus simple qu’il soit, la vie et les mots. Concept romantique, repris plus tard par les surréalistes : la poésie avant que d’être extraite et fixée sur une page fait partie intégrante de la vie. Elle sommeille en nous, telle une fée ou une nymphe, elle est partout, elle touche tout. Le travail du poète est donc de se rendre sensible à elle, par un travail sur et en soi. Lettres de voyant d’un autre voyant.

D’autres lectures également ont nourri ce désir poétique. Char, bien sûr, vous l’aurez compris, mais également des poètes comme Yves Bonnefoy, comme Edmond Jabès. Des lectures dans lesquelles je me replonge régulièrement. Livres de chevet comme des phares alternant ombre et lumière, nuit et jour. Ce retour à la poésie peut être mû par une impérieuse nécessité, par une simple curiosité, une nostalgie du Verbe pour simplement retrouver le roulis du langage qui nous rassure ou au contraire nous dérange.

S’il y a une chose qui devrait trainer dans les maisons, dans les gares, sur les bancs publics, c’est bien un recueil de poèmes…

Allez pour finir aujourd’hui, un sonnet de Tristan Corbière sur le thème de l’autodérision, parce qu’un poète ça sait aussi ne pas se prendre au sérieux.

Sonnet (Avec la manière de s’en servir)

Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : – on en suit quatre, en long ;
A chaque pieu, la rime – exemple : chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

– Télégramme sacré – 20 mots. – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet -) O Muse d’Archiméde !
– La preuve d’un sonnet est par l’addition :

– Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! – Tenons Pégase raide :
 » O lyre ! O délire ! O…  » – Sonnet – Attention !

Tristan Corbière, Les Amours jaunes


 

Hier je vous parlais de la sortie de l’album de Lhasa, aujourd’hui c’est celui d’Angélique Ionatos (Comme un jardin la nuit, enregistrement live) qui passait cet après midi dans Nonobstant sur France Inter. Un peu de poésie sur les ondes, je trouve ça judicieux en ces temps.

Ecrire dans les marges