plus tard, encore — Michaël Glück

plus tard, encore

Michaël Glück
Editions pré#carré, Hervé Bougel

plus tard, encore -- Michaël Glück

Imaginez que vous êtes dans la rue, à déambuler sans trop savoir où vous allez, la pensée errante, le désir vague des jours où rien ne se passe… Et soudain, quelqu’un – un crieur de rue, un saltimbanque, un bonimenteur ? –  interpelle et demande à qui veut l’entendre qu’il enverra un livre écrit par un poète. Comme ça ! pour le plaisir de lire un poète. Pas d’encyclopédie à acquérir en échange, pas de souscription obligatoire, pas de transaction. Juste pour le plaisir de découvrir un poète et les éditions pré#carré.

« Que c’est bon ! Et je suis assis et j’ai un poète. Quel destin ! Ils sont peut-être trois cents dans cette salle, qui lisent à présent ; mais il est impossible que chacun d’eux ait un poète. (Dieu sait ce qu’ils peuvent bien lire !) Il n’existe pas trois cent poètes. Vous voyez mon destin : Moi, peut-être le plus misérable de ces liseurs, moi, un étranger, j’ai un poète. »

Rainer Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge, p. 40
Trad. Maurice Betz, Points Seuil

Bien sûr cela ne s’est pas passé exactement comme cela mais c’est un peu tout comme. J’ai écrit mon adresse postale dans une bouteille et lancé le tout dans l’océan numérique. La réponse ne tarda pas venir : les courants étaient favorables malgré une météo capricieuse. De la « poésie cousue main » ai-je précisé au facteur pendant qu’il me tendait l’enveloppe, du Dior ou du Channel, mais avec des mots dessus. Je pensais attirer vers le pli un quelconque regard admiratif mais pensez donc ! mon facteur doit livrer trois cents poètes par jour, il en a vu d’autres… Je remercie au passage Hervé Bourgel, l’éditeur audacieux qui lance des pépites de langages aux orpailleurs curieux.

Michaël Glück est un auteur foisonnant et fertile. Un coup d’œil rapide à la bibliographie de Poezibao (en 2007) permet de voir l’étendue de sa création : poésie, traductions, pièces de théâtre, livres à quatre mains, livrets, articles… Avec des titres qui m’ont paru évocateurs et mystérieux : La ville est mosaïque, aux Editions Cadex (que nous avons déjà croisées ici) ; en collaboration avec Annie Fabre, La sente étroite du Bout-du-Monde, Éditions de l’Amourier (une variation autour de L’étroit che­min du fond de Bashô dont je reparlerai bientôt ici), etc. Des titres qui m’ont fait sourire par la résonance ludique qu’ils entretenaient (involontairement) avec le nom de l’éditeur, comme Obstination des heures (édité par Le temps volé) ou Labyrinthes de la mémoires (par la revue Estuaire). Un auteur que je vais approfondir car ce poème, Plus tard, encore, m’a vraiment intrigué. Il faut dire ici que ce petit recueil s’articule avec deux autres parus précédemment aux même éditions : Goutte d’encre sous la langue (lire ici une notule de Julie sur De Litteris) et Dans quelques poèmes plus tard. Je les lirai à rebrousse temps, pour revenir à la source du poème, pour parcourir à rebours le chemin qui a permis d’aboutir à Plus tard, encore.

Seize poèmes construisent patiemment, dans l’entrecroisement des pronoms (« Chaque pronom | épiphanie d’un peuple« , 13), l’avènement d’un monde-poème, qui comme le livre petit et carré qui le délivre, « tient dans la main« , un monde porté par « le souffle des livres brûlés » (16), poèmes-mondes nés sur le bout des lèvres. Lire ce recueil revient à se demander : si au commencement était le verbe, il a bien fallu l’articuler un jour, des lèvres l’ont murmuré, un corps, quelque chose, quelqu’un l’a imaginé, conçu dans son ventre, l’a porté avant que de l’engendrer, de le mettre à bas, à jour, avant que d’en accoucher. Le verbe alors est sorti d’une bouche, de lèvres, d’un sexe  : « et dit l’amour dit le sexe | murmure au bord des lèvres | dit la langue toujours | est l’ourlet du poème » (6).

Le poème émet l’hypothèse que « le mot femme | s’est écrit dans la chair | dans la matière matrice des jours » (3). Femme comme premier mot ou comme première énonciatrice – où les deux confondues – comme première seconde du mot prononcé, du mot écrit « sur chaque grain | du sable des heures« . Le texte est fluide et met en place une mélodie qui se répète en infinies variations qui veulent perdre le lecteur dans « les labyrinthes du chant » (5). Il y a le poème, la femme, les bombes et il y a un nous…  Le texte n’est pas sans une certaine violence (« je ne t’égorge pas | pour parler en ton nom | dit-elle« , 13), un ton ostinato qui, dans la recherche répétée de l’origine et du devenir du verbe, dit aussi l’agacement, le désarroi :

Michaël Glück

à qui demande quel
est l’avenir de la poésie
je dis mon désarroi,
mon ignorance
je dis aussi la certitude qu’
il n’y a pas d’avenir
  sans la poésie

(11)

 

Il y a des phrases magnifiques (comme ce « chant de groseillepressées contre les lèvres) qu’on a envie de retenir par cœur et qui crèvent la blancheur de ces petites pages carrées qu’on aurait pu penser – à tord – sans prétention. La force de Malte Laurids Brigge est justement de n’avoir aucun préjugé sur le livre qui contient un poète, mais de profiter pleinement de ce bonheur unique et absolument impartageable d’être avec lui quand les autres sont peut-être seuls (mais il ne tient qu’à eux de…).

Une œuvre miniature comme je les aime, qu’on prend plaisir à relire, et relire encore. C’est aussi pour cela que j’aime les livres comme des petites boîtes : en abolissant le temps de la lecture (ou tout du moins en n’en faisant pas une contrainte) ils permettent la relecture, l’entretien infini avec l’œuvre – l’espace du livre ouvert alors se creuse pour devenir gigantesque.

Pour finir, écoutons Michaël Glück parler de la poésie et lire ses propres textes.

 


 

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