La bibliothèque est en feu…

[…] L’éclair me dure.

Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compagnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert afin que j’en triomphe. Aucun autre. Ni cieux, ni terre privilégiée, ni choses dont on tressaille.
Torche, je ne valse qu’avec lui.

On ne peut pas commencer un poème sans une parcelle d’erreur sur soi et sur le monde, sans une paille d’innocence aux premiers morts.

Dans le poème, chaque mot ou presque doit être employé dans son sens originel. Certains, se détachant, deviennent plurivalents. Il en est d’amnésique. La constellation du Solitaire est tendue.

La poésie me volera ma mort.

Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la dureté terrestre, la finitude du poème est lumière, apport de l’être à la vie.

Le poète ne retient pas ce qu’il découvre ; l’ayant transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa nouveauté, son infini et son péril.

Mon métier est un métier de pointe.

On naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi les dieux.

La terre qui reçoit la graine est triste. La graine qui va tant risquer est heureuse […] »

René Char, « La bibliothèque est en feu… »,
in La Parole en archipel,Gallimard, la Pléiade, p378

Des pages, comme celle-ci et beaucoup d’autres, nous accompagnent toute notre vie… Le livre peut disparaître, la bibliothèque brûler, le poète devenir amnésique ou mourir : le poème est pulvérisé, la graine est semée dans l’opacité de l’air, dans l’ombre de la terre. Poète « est un métier de pointe« . Lecteur n’est pas un métier, il n’est que la navette qui file la trame d’un métier qui le dépasse et dont il veut rapprocher les fils que l’on appelle la chaîne.

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Autres traces dans la neige

Je vois Perceval partout. Toujours et ailleurs. Tel au carrefour de ce très beau recueil « Baltiques » de Tomas Tranströmer…

 

Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens!
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots mais un langage.

Tomas Tranströmer, En Mars – 79 in Baltiques
Poésie Gallimard

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L’abri rudoyé

De tous temps j’ai aimé sur un chemin de terre la proximité d’un filet d’eau tombé du ciel qui vient et va se chassant seul et la tendre gaucherie de l’herbe médiane qu’une charge de pierres arrête comme un revers obscur met fin à la pensée.

L’abri rudoyé, René Char in Le nu perdu, bibliothèque de la Pléiade, page 459

Photo de ma collection privée

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