A une passante — Charles Baudelaire

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Félicien Rops - Le Werwolf

 

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Le Ciel brûle — Marina Tsvetaïeva

Le Ciel brûle
suivi de Tentative de jalousie

Marina Tsvetaïeva
Éditions Gallimard

Le ciel brûle, Marina Tsvétaïéva

 

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Les nuits sans celui qu’on aime – et les nuits
Avec celui qu’on n’aime pas, et les grandes étoiles
Au-dessus de la tête en feu et les mains
Qui se tendent vers Celui –
Qui n’est pas – qui ne sera jamais,
Qui ne peut être – et celui qui le doit…
Et l’enfant qui pleure le héros
Et le héros qui pleure l’enfant,
Et les grandes montagnes de pierre
Sur la poitrine de celui qui doit – en bas…

Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,
Je connais ce mystère sourd-muet
Que dans la langue menteuse et noire
Des humains – on appelle la vie.

Marina Tsvetaïeva

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