Dieux des maux, d’émois et démons

Théo rit. Son thé est cause d’euphorie :
« Saté au riz ce que le thé est au logis »
Sa théorie : un théorème qui portait haut
La clarté odorante d’un été aux bougies.
Très haut ? ma non trop haut !

Son théorème hérité démodait dieu,
Son thé aurait mérité des mots, des dieux.

Théo voulait dicter aux météores
De s’arrêter aux mois en or :
Messidor, Thermidor, Fructidor ;
Car mieux vaut l’été au nord,
Où la potée ose quand Théo dort.

« Et pis t’as la météo » tonne son nid vert :
Vendémiaire, Brumaire, Frimaire ;
Epithalame : été, automne, son hiver,
Quand Prométhée odieux s’enfermait aux enfers,
Qu’en promet Théo au dieu : sang, fer, métaux, zinc, fer…

C’est couru : mais Théo est versé dans l’athéologie
Sa théorie : ce que la théologie
A ôté aux athées, les athées le rendent aux dieux
En étant des rangs d’hôtes très odieux

Sur ces mots atterrés, Théo dit « c’est assez ».
Et, son thé bu, Théo file chez le gantier.1


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  1. Retour Oulipien après une longue pause bloguesque, je vous fais part ici d’un petit poème labyrinthique (ma première production pour Fanes de Carottes en fait) : quand les syllabes sont des couloirs, les mots se perdent dedans, à l’infini et avec un plaisir non dissimulé. []
Ecrire en marge

Au palais audacieux — Antilipogramme

Des saucisses salées, sapées de pellicules adipeuses,
Des ailes, des culs, des aisselles de cailles piailleuses,
Des appeaux caudaux d’aspics aux écailles déliées,
Des dédales de lieux aux pupilles épuisées,

Des cascades peuplées, ici delà, de cèpes pulpeux,
D’excès d’épaules aillées, de pieds pelés délicieux,
Des lacis, des lacs, des suées de sauces épicées,
Des palissades de salades, des caps acidulés,

Puis des claies luxueuses paillées de saulées,
Des allées de peccadilles capées de cassis pilé,
Des eaux de liesse spécieuse, des écluses éclipsées
Aux écuelles de suie siliceuses. A l’issue, sa lippe lassée.

La dalle, la pépie épuisées, il accuse la pesée des lipides,
Il paie à la caisse l’excès, l’audace de ses papilles cupides.

Le plus délicieux des délices ? Ce supplice :
Elle, la lucide liseuse assise au seuil de la salle,
L’idéale déesse, l’île seule, ce calice à la peau pâle,
La pause, l’escale, l’assidu délice, la sexuelle ellipse.1


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  1. Voici donc le premier antilipogramme (dix lettres seulement : ALEPUSDICX) que je vous présente. Il a été rédigé pour Fanes de Carottes et répondait au thème suivant : Le plus délicieux des délices. Je voulais montrer la profusion, la prolifération adipeuse – liposaturée diraient les mauvais esprits – jusqu’à la nausée, au moyen de ces dix pauvres lettres. La fin (faim) du poème met en avant le désir par-delà le désir. Ce qu’il est encore possible de trouver comme désir en soi quand tout à été ressassé, ressucé jusqu’aux os ; ce qui, même repu à l’extrême, peut-être encore ressenti comme étant la seule escale possible et inassouvie d’un désir saturé. Evidemment, je joue sur la proximité des chair(e)s… []
Ecrire en marge

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge — R.M. Rilke

Durant quelques temps encore je vais pouvoir écrire tout cela et en témoigner. Mais le jour viendra où ma main me sera distante, et quand je lui ordonnerai d’écrire, elle tracera des mots que je n’aurais pas consentis. Le temps de l’autre explication va venir, où les mots se dénoueront, où à chaque signification se défera comme un nuage et s’abattra comme de la pluie. Malgré ma peur je suis pourtant pareil à quelqu’un qui se tient devant de grandes choses, et je me souviens que, autrefois, je sentais en moi des lueurs semblables lorsque j’allais écrire. Mais cette fois je serai écrit. Je suis l’impression qui va se transposer. Il ne s’en faudrait plus que de si peu, et je pourrais, ah ! tout comprendre, acquiescer à tout. Mais ce pas, je ne puis le faire ; je suis tombé et ne puis plus me relever, parce que je suis brisé. Jusqu’ici j’ai cru que je pourrais voir venir un secours. Voici devant moi, de ma propre écriture, ce que j’ai prié, soir par soir. Des livres où je l’ai trouvé, j’ai transcris cela, pour que cela me fût tout proche, pour que cela fût issu de ma main, comme jailli de moi-même. Et maintenant, je veux la copier encore une fois ici, devant ma table, à genoux, je veux l’écrire, car ainsi je le tiens en moi plus longtemps qu’à le lire, et chaque mot prend de la durée et a le temps de ralentir.

Mécontent de tous et mécontent de moi-même, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chanté, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde ; et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouve à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, qui je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

« C’étaient des gens de néant, des gens sans noms abaissés plus bas que terre. Voici que je suis pour eux un objet de risée et le sujet de leur chanson…
« Ils ont rompu mon sentier et pour augmenter mon affliction ils n’ont besoin du secours de personne…
« Maintenant mon âme se fond en moi…
« Des frayeurs la poursuivent comme un vent, ma délivrance est passée comme un nuée, la nuit me perce l’os et mes veines ne prennent point de repos.
Mon vêtement a changé de couleur par la violence de mon mal ; il se colle à mon corps et m’enserre comme l’ouverture de ma robe…
« Le jours d’affliction m’ont surpris, je ressemble à la poussière et à la cendre…
« Ma harpe n’est plus qu’une plainte et le son de ma flûte, un sanglot. »

Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge,
Points Seuil, p. 52 (traduction de Maurice Betz)

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