Chant de Sirènes

John Mallord William Turner (1775-1851) - Crayon et aquarelle - 22 x 28 cm

Seelisburg au clair-de-lune, John Mallord William Turner (1775-1851) – Crayon et aquarelle – 22 x 28 cm

…Si je reprends haleine, c’est pour escalader les pentes
Où perché sur l’encolure d’un éperon rocheux
A l’auvent de ma paume que les fétides effluves orientent
Je vois que six arbres à la sève tarie
Nos gorgones chenues inscrire sur un brouillard de feu
Leurs profils géminés mordant au tronc des tubercules
Momies des cavernes qui ne semblent vêtues que de leur ombre
Dans la brume argentine où leurs mains gesticulent
Quelle hargne sombre vous endiable, méduses baveuses,
A lancer au rebours du vent vos gerbes de déraison !
Et moi qui gardait si pur le grand rire de l’enfance,
Moi qui fus naguère ce fier garçon si dur à fléchir,
Elles m’ont tiré de mes franchises pour m’attirer en leur gîte
Et fermerais-je les yeux, c’est encore leur voix que j’entends
Rongeuses, âpres à nuire dans la séduction de leur invite !
Comprends-moi dont la svelte gloire est aujourd’hui éteinte,
Cette citadelle agreste fut le théâtre de ma passion
Et dans ma mémoire souffrante qui est mon seul avoir
Je cherche où l’enfant que je fus a laissé ses empreintes.

René-Louis Des Forêts
Les Mégères de la mer, Poésie Gallimard, 1967, p.26

Ecrire en marge

Une rue dans le labyrinthe

A la recherche du temps perdu
Le temps retrouvé

Marcel Proust
Folio Gallimard

Le temps retrouvé, Proust

Toujours dans ces résurrections-là, le lieu lointain engendré autour de la sensation commune, s’était accouplé un instant comme un lutteur au lieu actuel. Toujours le lieu actuel avait été vainqueur; toujours c’était le vaincu qui m’avait paru le plus beau, si bien que j’étais resté en extase sur le pavé inégal comme devant la tasse de thé, cherchant à maintenir aux moments où ils apparaissaient, à faire réapparaître dès qu’ils m’avaient échappé, ce Combray, ce Venise, ce Balbec envahissants, et refoulés qui s’élevaient pour m’abandonner ensuite au sein de ces lieux nouveaux, mais perméables pour le passé. Et si le lieu actuel n’avait pas été aussitôt vainqueur, je crois que j’aurais perdu connaissance; car ces résurrections du passé, dans la seconde qu’elles durent, sont si totales qu’elles n’obligent pas seulement nos yeux à cesser de voir la chambre qui est près d’eux, pour regarder la voie bordée d’arbres ou la marée montante. Elles forcent nos narines à respirer l’air de lieux pourtant si lointains, notre volonté à choisir entre les divers projets qu’ils nous proposent, notre personne toute entière à se croire entourée par eux, ou du moins à trébucher entre eux et les lieux présents dans l’étourdissement d’une incertitude pareille à celle qu’on éprouve parfois devant une vision ineffable, au moment de s’endormir.

Le temps retrouvé, Marcel Proust


Une petite page et une photo de rue, une rue parmi d’autres dans la vaste étendue de mon labyrinthe, mais une rue qui ne ressemble à aucune autre…

Allez je retourne à la lecture du souvenir d’enfance !

Une rue de mon enfance, dans un petit village qui s'appelle le Barou

Ecrire en marge