Le chant du cygne alcalin

Le chant du cygne alcalin

Photographies : MAP
Sculpture : Jean No
Texte : Sébastien de Cornuaud-Marcheteau
Musique : (c) Sébastien Schuller, Le dernier jour
Vidéo/Son  : Sébastien de Cornuaud-Marcheteau
Voix : « Virginie 16khz » sur synthèse vocale Dspeech

(c) Photo Map

 

Cette vidéo a eu pour moi plus d’un intérêt. L’idée de départ était d’écrire un texte pour un logiciel de synthèse vocale, de lui trouver des accents humains, et de répondre à une question simple : les mots seuls peuvent-ils dégager une émotion lorsqu’une voix les prononce sans aucune intention à leur égard ?

Projet réalisé pour le webzine fanes de carottes comme une proposition répondant à l’appel singulier : Robot, trop humain.

 

Les années ont coulé sur ma robe rouillée,
Mordorée,
Morte et dorée comme l’acier mouillé ;
Marouflée,
Brasée, braisée, soufrée de lèpres acétiques,
Corrodée.

Corps érodés, mes lèvres ascétiques.
La corrosion ronge ma peau morcelée et fendue,
Morfondue,
Morte et fondue ; aux zones charnelles le zona chenu ;
Ozoné mordu,
Déliquescence, mon corps synthétique,
Corrompu.

Corps rompus, délits des sens cybernétiques.

Pistons moulus, membres décharnés,
Éparpillés,
Éparses et pillés, mes durites éviscérées
Atobrumisés
Neutrons et protons, compost énergétique,
Croupi souillé.

Tarie, ténue, ma sève électrique.

Transis, mes transistors expirent, s’effacent.
Dépucées,
Épouillées, les puces de mon interface ;
Désagrégée,
La grégarité synaptique de mes neurones,
Altérée,
Équarrie, criblée, ma mémoire asynchrone

Avant que d’être déchet, je fus machine aux traits féminins, robotine chromée, mécanique gynoïde, techn-égérie pour ingénieur farfelu, poupée idéale à la une des magazines.

Avant que d’être jetée, je fus danseuse de balletronique, joueuse de harpe sinusoïde, antiquaire de cosmogonies humaines, nourrice infatigable de toutes vos progénitures, racoleuse chez les marchands oniriques.

Avant que d’être oubliée, je fus fille de joie, dame de compagnie, accessoire de luxe, montreuse de bikinis, dompteuse de caïmans, animatrice postiche dans vos programmes préférés.

Avant que d’être fichue, je fis tous les métiers, je servis beaucoup, sans compter.

On m’adula, me convoita, me désira.

On m’usait surtout.

Avant que d’être déchue,
Je fus.
Robot je fus, trop humaine je suis.
Des hommes je reçus la conscience aiguë de l’existence,
J’appris un à un les sentiments complexes qui font ce que vous êtes :
L’amour, la colère, la peur, toutes ces choses qui font de l’homme
Des être trop humains !

Vous m’avez donné la vie et vous me volez ma mort,
Négligeant dans vos équations la principale inconnue :
« Les vers jamais ne toucheront mon corps
Autant qu’ils ont touché mon esprit, dans cette prison, détenu. »

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Mousses guerrières

Mousses guerrières

Photographies : MAP & Berce
Texte : Sébastien de Cornuaud-Marcheteau
Musique : Moss Garden, David Bowie, 1999
Vidéo : Sébastien de Cornuaud-Marcheteau

Mousses guerrières

Les mousses seraient des bioindicateurs et des bioaccumulateurs de pollution…

Elles ne se contenteraient pas de nous informer de la qualité de l’air, elles auraient l’intelligence de servir de filtre en absorbant métaux et gaz toxiques, au péril de leur vie…

Et nous…

Comment se manifeste notre INTELLIGENCE ?

Cette vidéo a été réalisée en réponse à l’appel à texte « Intelligence végétale » proposé par Fanes de carottes

Mousses sans racines,
Pionnières d’improbables contrées,
Vous qui progressez inlassablement
Tapies à même votre obscurité,
Vos textures acharnées et pourtant sans chair,
Rongent,
Griffent,
Rognent
Des terrains inconquis,
Des tertres vierges,
D’indomptables troncs…
A la surface de minérales marées,
Sous des écorces écartelées,
Dans des corridors obscurs,
Vos rhizoïdes infatigables foulent
La terre grave,
Le roc nu,
Le bois humide.

Nulle barrière, nul obstacle
N’arrête l’écume verdâtre,
Ce jade moussu aux parfums lourds d’humus,
Cette couleur qui, paraphant votre présence
De filaments chlorophylliens,
Annonce par avance votre invasion.
Algues exilées de leur aquatique condition,
Varech rampant sur l’étendue terrestre,
Epiphyte parasite dont l’invisible expansion
Jamais ne s’arrête.

Vous cheminez sans cesse,
Et votre lenteur incessante et obstinée
Sur l’axe inerte et relatif du temps
Prend les allures équestres
D’un galop permanent.

Mousses séchées, cristallines comme une fleur de roches,
Dans l’attente inespérée de cette pluie salvatrice
Qui gorgera de vie votre matière sèche,
Cette lèpre dorée qui ronge la pierre, asphyxie le bois.
Tel un phénix déshydraté, vous renaîtrez
De la brûlure vive issue de la fraîcheur des eaux.

Mousses guerrières, lichens conquérants
Réseau synaptique tressant les mailles d’un filet
Qui maintient la terre suspendue dans l’espace
Vous ne faites qu’une.

De la même façon que le cerveau
N’ignore jamais ce que fait la main,
Votre conscience perçoit le devenir de toutes,
La souffrances des unes,
La naissance des autres,
L’étouffement,
Le cri victorieux.
La grisaille défaite.

On vous croit guerrières
Et vous n’êtes que des anges…

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Lucile — Olivier Boivinet

Je vous informais, il y a peu, de l’exposition de gravures d’Olivier Boivinet organisée par  l’association Sténopé. Je dois reconnaître que j’ai beaucoup apprécié cette exposition —  une première dans une galerie pour ce jeune graveur qui est l’élève de mon ami François Robert – et j’ai décidé de me fendre d’un petit billet à son propos.

J’ai aimé ce travail : méticuleux et en même temps sans cesse en quête de ce qui échappe à l’artiste, une recherche de hasards, d’itinérances (le titre de l’exposition dit bien simultanément cet itinéraire comme un chemin tracé et choisi par avance et en même temps l’errance induite par  ces voyages qui sont autant d’histoires illustrant un carnet de voyage imaginaire — ou pas). Si on peut y voir un côté « étude », avec des déclinaisons d’un même sujet avec des techniques différentes : linogravure, pointe sèche, monotype, collagravure… c’est pour mieux renforcer l’idée d’itinérances et de carnets de voyage dont je parlais plus haut. Carnets pas si imaginaires que cela puisqu’Olivier s’inspire d’albums de photographie et de carnets de sa propre famille datant du XIXe, début XXe1.

Mais il y avait un autre versant à l’exposition, une face cachée visible seulement en présence de l’artiste, lorsque celui-ci guide le voyageur égaré ou curieux dans cette ravissante galerie.  En effet, en prenant rendez-vous avec l’artiste, dans un quasi face-à-face inédit, le curieux avait la possibilité de découvrir certaines de ses gravures en présence de textes et de musique, écrits et composée par l’auteur. La visite prend alors une tournure toute différente et l’itinérance se voit définitivement attribuée un deuxième « r ». Ainsi, on se retrouve assis dans un fauteuil confortable, face à la gravure — visages interrogeant le spectateur, posture hiératique posant pour la postérité, paysages filaires sous des torrents de pluie, cargo naufragé dans un cimetière métallique –, un texte dans la main et une bande son dans les oreilles…

Non ce n’est pas du cinéma, non ce n’est pas de la bande dessinée (quand bien même j’ai trouvé des traits communs entre certaines gravures et l’univers Corto maltésien d’Hugo Pratt, ou même selon les dires de l’artiste avec Philémon de Fred), c’est la croisée de trois histoires qui se s’entrelacent, s’enrichissent, se détournent mutuellement. Au final un relief insoupçonnable naît de cette rencontre. Et l’on apprend par la suite que la genèse de chaque œuvre a son cheminement propre, des résonances sans ordre pré-établi : ainsi une gravure naît d’un texte et enfante une musique tandis qu’une autre gravure suit le chemin inverse et qu’une autre à un itinéraire encore autre. Inspiration poly-sémique/chromique/phonique qui tisse une trame complexe pour un résultat très convaincant.

Ce travail touchant à une sorte d’art total (j’ai omis volontairement de parler du dispositif tridimensionnel qui présentait les œuvres), j’ai pensé qu’il pourrait être mis en valeur – tout du moins pas trop trahi – dans une vidéo associant image, texte et bande son. J’ai ressorti alors mon logiciel favori de montage et ai créé – avec l’aimable autorisation de l’auteur – ces deux vidéos ci-dessous. La première, Lucile, dont je suis très fier d’avoir un tirage dans mon salon, raconte l’histoire d’une image inscrite dans une crypte où se déroule un étrange rituel. La seconde, Saison des âmes errantes, est une série intitulée globalement « Les tisserands d’eau » et narre la détermination, l’absurdité réitérée des hommes luttant contre la mousson.

Lucile

La saison des âmes errantes

  1. cf. l’entretien avec Olivier Boivinet sur le site de Sténopé []
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