Une rue dans le labyrinthe

A la recherche du temps perdu
Le temps retrouvé

Marcel Proust
Folio Gallimard

Le temps retrouvé, Proust

Toujours dans ces résurrections-là, le lieu lointain engendré autour de la sensation commune, s’était accouplé un instant comme un lutteur au lieu actuel. Toujours le lieu actuel avait été vainqueur; toujours c’était le vaincu qui m’avait paru le plus beau, si bien que j’étais resté en extase sur le pavé inégal comme devant la tasse de thé, cherchant à maintenir aux moments où ils apparaissaient, à faire réapparaître dès qu’ils m’avaient échappé, ce Combray, ce Venise, ce Balbec envahissants, et refoulés qui s’élevaient pour m’abandonner ensuite au sein de ces lieux nouveaux, mais perméables pour le passé. Et si le lieu actuel n’avait pas été aussitôt vainqueur, je crois que j’aurais perdu connaissance; car ces résurrections du passé, dans la seconde qu’elles durent, sont si totales qu’elles n’obligent pas seulement nos yeux à cesser de voir la chambre qui est près d’eux, pour regarder la voie bordée d’arbres ou la marée montante. Elles forcent nos narines à respirer l’air de lieux pourtant si lointains, notre volonté à choisir entre les divers projets qu’ils nous proposent, notre personne toute entière à se croire entourée par eux, ou du moins à trébucher entre eux et les lieux présents dans l’étourdissement d’une incertitude pareille à celle qu’on éprouve parfois devant une vision ineffable, au moment de s’endormir.

Le temps retrouvé, Marcel Proust


Une petite page et une photo de rue, une rue parmi d’autres dans la vaste étendue de mon labyrinthe, mais une rue qui ne ressemble à aucune autre…

Allez je retourne à la lecture du souvenir d’enfance !

Une rue de mon enfance, dans un petit village qui s'appelle le Barou

5 Comments Une rue dans le labyrinthe

  1. ekwerkwe

    Voilà une page qui me parle, cette fois!
    C’est une nostalgie que j’éprouve si souvent: ça m’avait énormément touchée.

    Je m’interroge: pourquoi as-tu classé cette page en « labyrinthe »? C’est strictement personnel (une des rues de ton labyrinthe), ou bien est-ce cela fait référence à cette fusion entre passé et présent dont parle Proust (une allée qui débouche sur une allée déjà passée)?

  2. Sébastien

    Oui il y a des deux en fait : cette rue est un petit morceau de mon enfance que j’ai revisité(e) l’année dernière… La revoir a suscité deux choses : l’étrangeté familière (le Unheimlich freudien) d’abord : cette rue de me disait rien, enfin si peu et pourtant, si, quelque chose mais d’indéfinissable, quelque chose chargée d’émotion. Et ensuite des souvenirs s’y sont collés, des visages sont apparus (des visages de photos), des rires, des bribes d’instants, enfin la rue se peuplait de choses beaucoup plus familières…
    Le labyrinthe engage le lieu mais aussi le temps : on revient parfois sur ses pas, sans s’en rendre compte, on sait aussi qu’on n’aura pas le temps de l’explorer totalement et il y a toujours des tensions entre le temps perdu et le temps à retrouver (« Lire vst relire » lisais-je il y a peu sous ta plume).

  3. Sébastien

    Ah oui ! aussi : je lis W ou le souvenir d’enfance je crois aussi que tout ça a fait palimpseste 🙂 [Patience ! le billet est pour demain : ma soirée est prise]

  4. ekwerkwe

    Tiens, j’attends avec impatience ta note de lecture sur « W ». Je l’ai lu au moins deux fois, mais je n’ai jamais pensé à faire le lien avec la Recherche (qui ne m’est pas familière, de toutes façons).
    A demain!!

  5. Sébastien

    @Ekwe
    Pourtant dans des styles différents il y une même volonté de faire ressurgir la mémoire, par des procédés littéraires très différents certes, d’en suivre le cheminement et surtout l’instant de son éclosion… Si tu rajoutes à cela la découverte de la vocation littéraire, ça fait beaucoup de points communs 🙂

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