Aujourd’hui, je vous propose d’écouter et de lire un poème d’Odysseus Elytis chanté par Angélique Ionatos.
Belle mais étrange patrie
Όμορφη και παράξενη πατρίδα
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδαΡίχνει να πιάσει ψάρια πιάνει φτερωτά
στήνει στην γη καράβι
κήπο στα νερά
κλαίει φιλεί το χώμα ξενιτεύεται
μένει στους πέντε δρόμους αντρειεύεταιΌμορφη και παράξενη πατρίδα
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδαΚάνει να πάρει πέτρα την επαρατά
κάνει να τη σκαλίσει βγάνει θάματα
μπαίνει σ’ ένα βαρκάκι πιάνει ωκεανούς
ξεσηκωμούς γυρεύει θέλει τύρρανουςΌμορφη και παράξενη πατρίδα
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδα
Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnéeElle jette les filets pour prendre des poissons
Et c’est des oiseaux qu’elle attrape
Elle construit des bateaux sur terre
Et des jardins sur l’eauBelle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnéeElle menace de prendre une pierre
Elle renonce
Elle fait mine de la tailler
Et des miracles naissentBelle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnéeAvec une petite barque
Elle atteint des océans
Elle cherche la révolte
Et s’offre des tyransBelle mais étrange patrie…
Quelle est cette patrie, belle mais étrange, qu’Elytis transforme en sujet (dés)oeuvrant ? Bien sûr on pense à la Grèce, ce berceau de l’Occident, cette patrie de pêcheurs, cette patrie longtemps opprimée…
Moi j’y vois aussi la langue, la poésie, cette patrie intime magnifique et étrange capable de partir pêcher quelque chose et de ramener tout autre chose, capable elle-même d’apaiser ses propres révoltes et de trouver dans l’arme qui portait sa rébellion son propre jaillissement. Cette langue capable de faire de grande choses mais aussi de se corrompre…
Assurément, il y a une énigme. Assurément, il y a un mystère. Mais le mystère n’est pas une mise en scène tirant parti des jeux d’ombre et de lumière pour simplement nous impressionner.
C’est ce qui continue à demeurer mystère même en pleine lumière. C’est alors seulement qu’il prend cet éclat qui séduit et que nous appelons Beauté. Beauté qui est la voie ouverte – la seule peut-être – vers cette part inconnue de nous-mêmes, vers ce qui nous dépasse. Voilà, cela pourrait être une définition de plus de la poésie : l’art de nous rapprocher de ce qui nous dépasse.
D’innombrables signes secrets dont l’univers est constellé et qui constituent autant de syllabes d’une langue inconnue nous sollicitent de composer des mots, et, avec ces mots, des phrases dont le déchiffrage nous met au seuil de la plus profonde vérité.
Où se trouve donc, en dernière analyse, la vérité ? Dans l’usure et la mort que nous constatons chaque jour autour de nous, ou dans cette propension à croire que le monde est indestructible et éternel ? Il est sage, je le sais, d’éviter les redondances. Les théories cosmogoniques qui se sont succédé au cours des temps n’ont pas manqué d’en user et d’en abuser. Elles se sont heurtées les unes aux autres, elles ont eu leur temps de gloire, puis elles se sont effacées.
Mais l’essentiel est demeuré. Il demeure.
Odysseus Elytis, extrait de son discours lors de la remise du Prix Nobel de littérature en 1979
Je laisse à Angélique Ionatos le soin de dire un dernier mot sur Elytis :
Superbe poème… et superbe interprète
quelque part entre Ulysse et les colonels…
Oui un poème d’exilé, ça ne fait aucun doute. J’aime bien ce que dit Ionatos à propos de la lumière chez Elytis, que le mystère se situe plus au niveau de la surexposition que de l’obscurité.
Un très beau poème en effet, et une interprète à découvrir.
Le discours d’Elytis, est fort intéressant et par moment très beau dans son engagement, sa foi ? en la poésie, et en sa puissance. Merci pour tous ces liens qui éclairent 😉
heu… facile:@)