Notes de chevet
Sei Shônagon
Traduction par André Beaujard,
Connaissance de l’Orient, Gallimard/Unesco
1. Au printemps, c’est l’aurore.
Au printemps, c’est l’aurore que je préfère. La cime des monts devient peu à peu distincte et s’éclaire faiblement. Des nuages violacés s’allongent en minces traînées. En été, c’est la nuit. J’admire, naturellement, le clair de lune ; mais j’aime aussi l’obscurité où volent en se croisant les lucioles. Même s’il pleut, la nuit d’été me charme. En automne, c’est le soir. Le soleil couchant darde ses brillants rayons et s’approche de la crête des montagnes. Alors les corbeaux s’en vont dormir, et en les voyant passer, par trois, par quatre, par deux, on se sent délicieusement triste. Et quand les longues files d’oies sauvages paraissent toutes petites ! c’est encore plus joli. Puis, après que le soleil a disparu, le bruit du vent et la musique des insectes ont une mélancolie qui me ravit. En hiver, j’aime le matin, de très bonne heure. Il n’est pas besoin de dire le charme de la neige ; mais je goûte également l’extrême pureté de la gelée blanche ou, tout simplement, un très grand froid ; bien vite, on allume le feu, on apporte le charbon de bois incandescent ; voilà qui convient à la saison. Cependant, à l’approche de midi, le froid se relâche, il est déplaisant que le feu des brasiers carrés ou ronds se couvre de cendres blanches.
p.29
Écrites par Sei Shônagon il y a un peu plus de mille ans, ces Notes de chevets (appelées parfois également Notes de l’oreiller), ces sôshi sont les écrits intimes, le journal quotidien de cette dame d’honneur au service d’une princesse. C’est une lecture étonnante mais savoureuse qu’il est préférable de prendre par petites bouchées, comme des gourmandises. Et puis y revenir. On y découvre un inventaire gigantesque, ordonnancé mais pas classé et inversement. Il n’y pas aucun plan, aucune volonté de marteler un message, elle peut émettre un jugement moral, mais n’en fera pas une règle générale (comme le feront nos moralistes, La Bruyère, Sévigné, avec lesquels on peut cependant trouver quelques similitudes). Elle explore, parfois en se répétant. Elle décrit le monde comme il vient, en suivant ses humeurs : tel mot lui rappelle une anecdote et le récit dérive emporté par cette vague et le ressac nous ramène au point de départ. Cela donne l’impression d’une écriture qui digresse sans cesse tout en restant principalement centrée sur l’intimité de sa narratrice, sur ce qu’elle ressent, ce qu’elle juge, soupèse… On y trouve également beaucoup de tableaux très vivants du Japon de l’an mil, des chevaliers, des femmes, des vieux, des enfants, plein de petites scènes qui se rejouent sous nos yeux.
Je ne l’ai pas encore fini, mais je l’aime déjà ce livre que l’on parcourt comme on explore.
Merci Ekwe de me l’avoir suggéré…
Bonjour,
je ne connaissais pas cet auteur. Cet extrait est magnifique. Je le note pour le lire à mon tour tranquillement. Merci !
Bonjour Anne-Sophie. Oui tout n’est pas dans le ton de ce premier chapitre, mais ça donne une bonne idée (meilleure que je ne pourrais le faire en commentaire). C’est une lecture apaisante, pas trop compliquée. Comme quoi la littérature n’est pas qu’heureuse ou malheureuse, je pense qu’elle a plein de visages et c’en est un parmi d’autre ici.
« apaisante et pas trop compliquée »!!
Je transige à subtile mais pas à moins.
Et puis je suis contente que tu aimes.