[Retrouvée dans mes archives cette introduction à Feue la Salamandre.]
– C’est toujours par là que je commence.
– …
Je veux dire que c’est toujours à partir de ce silence très nourri que les histoires surprenantes prennent corps. Car enfin, que seraient les histoires s’il n’y avait pas ce soupçon de silence, cette fine épine dorsale sur laquelle se développer.C’est toujours difficile, ces préambules maladroits par lesquels on brise le silence pour donner corps à l’informe, à la voix silencieuse qui sommeille dans l’histoire, lasse. Lasse.
« Pourvu qu’il ne s’admire pas ! »
La répétition du même.
« M’offrir à toi ? »Telle est la voix qui se jouant de l’histoire ne fait qu’ânonner trente six mille syllabes… des mots sans suite au départ, rituel d’un chant psalmodié qui cherche sa justesse en s’égarant, transis. Puis, sur la partition de l’absurde, l’expression devient de plus en plus sonore, plus rocailleuse. Elle cherche à se distinguer, à se distraire même. Elle joue du spasme, semble se perdre et se recompose en une phrase.
Quelle Pythie, quelle Muse extirpera du chaos cette voix magnifique qui dit l’histoire !
Là, quelque chose commence.
Pourvu que le silence cède la place au bruit de l’histoire.
Plutôt mourir…
page blanche, esprit vide…
Parfois, heureusement un mot pour démarrer. « Liens » par exemple.
Parfois, le cerveau s’enclenche à l’heure du sommeil, dans le silence de la nuit. Si le papier et le stylo ne sont pas à portée de main, le lendemain, il n’en restera rien.
Le « Liens » m’a échappé.
Parfois, va savoir pourquoi, le souvenir de l’étincelle nocturne surgit de manière impromptue. La potion de sorcière a réapparu devant un fichier excel récalcitrant, dans l’activité d’un cerveau bouillonnant, dans le bruit de fond des bureaux voisins, des collègues. Le matériel était là, cette histoire sera.
Il faut alors se laisser le temps, un texte est toujours un peu sauvage, c’est prudemment qu’il faut l’approcher… comme pour capturer un oiseau chez Prévert.
Lentement des mots se posent sur la page virtuelle qui s’agite derrière nos yeux. Une idée ici s’accroche, une autre là virevolte. Comment exprimer ceci? Est-ce que j’ai une fin ?
Et avant que ça ne s’échappe, poser quelques mots sur la page matérielle d’un bout de papier, d’un post-it.
Ca y est, la trame a été capturée. Reste à la faire mûrir et grandir. Il est alors temps de poser les autres mots qui l’accompagneront… des mots, des mots, qui coulent jusque l’ultime : fin.
Merci Infolio de nous avoir fait participer de ta manière d’aborder le début d’une histoire… de manière développée qui plus est ! Là ce n’est pas à proprement parler le début de l’histoire… mais une voix narrative qui dit la difficulté d’entamer le silence. Je pensais en fait à « Fin de partie » de Beckett qui commence son histoire par « C’est fini »… Toujours essentiel la première page (voire la première phrase), il suffit pour s’en convaincre de lire et relire les premières pages des plus grands romanciers…
Ce moment m’émerveille : comme passe-t-on du néant à quelque chose qui s’installe, à une voix qui prend forme, sortant de l’informe, pour happer le lecteur et l’entraîner dans la construction d’une histoire.