Mon chien Stupide — John Fante

Mon chien Stupide
Rome West

John Fante
Éditions Christian Bougeois, coll. 10|18
Trad. de l’américain
par Brice Mathhieussent

Mon chien Stupide, John Fante

Opération masse critique de Babelio.com

Ce livre, dont j’avais lu un billet dans le nid d’Ekwerkwe, m’a été proposé par Babelio dans le cadre de l’opération Masse critique.

Climax avec poils

Henri Molise, un écrivain minable vit dans sa maison en forme de Y à Point Dume, dans le décor convenu de la Baie de Santa Monica. Tout paraît petit, étriqué, médiocre, raté  : à commencer par lui-même, moitié alcoolo, réac et raciste, lâche;  sa relation amoureuse avec sa femme Harriet semble être un fiasco, ses quatre enfants lui sont des plaies, pourris, gâtés, irresponsables, un peu le portrait de leur père quand on y réfléchit… Sa carrière d’écrivain repose sur quelques romans de jeunesse écrits il y a longtemps… Presque un « has never been ».

Qu’arrive-t-il alors  lorsque surgit de nulle part « un très gros chien au poil fourni, marron et noir, doté d’une tête massive et d’un court museau noir aplati, une tête mélancolique à la sombre gueule d’ours » ?

Stupide, tel est le sobriquet que l’on prête à cet animal  débarquant comme un chien dans un jeu de quilles ou dans un jeu de sept familles, son vrai nom : « Tu le regretteras ». Dans la famille Stupide je demande le chien ! C’est à se demander qui du maître (et de sa famille) ou de l’animal, fut-il un peu « pédé », fut-il obsédé par le désir de saillir le premier chien ou homme venu, est le plus stupide.

Ce chien débarque dans la vie de cette famille à un moment crucial : le narrateur ne rêve que d’une chose, se débarrasser de ses enfants, vendre ce qu’il lui reste et partir seul à Rome, sa Rome mythologique où il y retrouverait le « sens du sens de la vie », le pays de ses racines… Harriet, elle, tâche de retarder l’inéluctable, le départ de ses enfants et peut-être, incidemment, le moment où elle se retrouvera seule avec son mari. Le chien sert alors tour à tour de prétexte et d’instrument pour l’un et l’autre dessein.

Vanessa, dans un billet très inspiré, parle du rapport à la parentalité dans ce livre. C’est vrai que ces questions de la parentalité sont lancinantes dans le roman :  l’éducation des enfants, le regard qu’on porte sur eux, l’obstination à vouloir les contrôler, à ne pas les lâcher ou au contraire à ne plus les supporter, à rêver de s’en débarasser. Dans ce jeu de quilles, il y a aussi le couple qui paraît un frêle esquif à la dérive, avec ses facheuses habitudes, ses vraies fausses disputes, ces jeux de « je te quitte toi non plus », ses perversions… la morne vie amoureuse dont la trame principale, qui repose sur les relations filiales, s’effiloche inéluctablement, tragiquement.

Du lieu où l’on vit au lieu que l’on rêve

La question du lieu est centrale également : du lieu où l’on vit au lieu que l’on rêve, en passant par les substances qui font croire à l’évasion, il y a une infinité de lieux qui sont autant de refuges, de pièges, de cauchemars… Tina, la fille, rêve de partir loin vers le nord avec son amoureux, mais elle n’arrive qu’à tourner autour de la maison paternelle, prétextant tout et n’importe quoi pour y revenir. Jamie voudrait éviter la conscription et pourtant tout le précipite là-bas : surtout quand ce chien qu’il adore et qu’il protège tente de saillir un homme sur la plage… qui plus tard décidera de son avenir militaire… Il  y a toujours dans le roman une ironie cruelle, un cynisme outrancier du destin… Ainsi si Rome n’est pas possible, alors rien d’autre n’est possible et surtout pas les rêves des autres… ou alors, peut-être, ceux du chien.

Reste qu’il est assez difficile de vraiment bien parler de ce livre : son style, court et cinglant comme une pluie glacée fait passer du rire à l’horreur, du mépris à la honte…  Ekerkwe souligne l’impressionnante palette de sentiments et d’émotions qui assaillent le lecteur… et c’est vrai que j’ai ressenti un grand vide après être passé sous ce déluge condensé…

En commençant ce livre j’avais pensé à un autre chien de roman, celui de V. Woolf, Flush. Aucune similitude évidemment entre le cocker anglais et cet akita américain. Quoique… l’humour est au rendez-vous dans ces deux œuvres… peut-être la tentation du cynisme !

Je ne résiste pas à l’envie de citer un court extrait pour faire sentir ce style économe et précis à la fois. Des phrases courtes et juxtaposées jusqu’à provoquer une certaine nausée.

La paix.
Qu’est-ce que la paix ?

Elle vit dans l’aile est, je vis dans l’aile nord. Nous avons trois chambres chacun. Je tonds la pelouse. J’entame un nouveau roman. Mon style a changé. Il ne me plaît pas. Elle fait de la poterie. Elle étudie les sciences occultes. Je joue au golf. J’ai des cauchemars. Des Noirs rôtissent Dominic dans un chaudron. Elle a des cauchemars. Jamie passe en cour martiale, on place un bandeau sur ses yeux, les balles claquent. Je change de chambre, elle change de chambre. Nous dormons ensemble. Elle ronfle. Elle prétend que je ronfle. Nous changeons encore de chambre. Mon roman s’écroule. J’en entame un autre. Qu’est-il arrivé à mon style ? Elle me lit les tarots. Les cartes sont sinistres. Elle ne peut achever sa lecture. La Tour. Le Pendu. Mes cartes, la Mort, la Catastrophe, la Ruine.

p.136

3 Comments Mon chien Stupide — John Fante

  1. VanessaV

    Avec plaisir. Merci aussi de pousser à fond les autres thèmes que je redécouvre grâce à toi! Très beau billet! Je rajoute ton lien dans le corps de mon billet.

  2. sylvie

    @sébastien, bonne pioche chez Babelio à ce que je vois…et joli billet
    @Vanessa, contente de te voir par ici;)

  3. Sébastien

    @Vanessa Merci aussi d’avoir tissé un lien. J’ai vraiment trouvé ton billet très juste.
    @Sylvie, oui j’étais content de trouver ce livre. Il y en a un autre à venir en provenance de Babelio.

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