Le monde selon Monsanto — M.-M. Robin

Le monde selon Monsanto

Marie-Monique Robin,
Arte Éditions

Le monde selon Monsanto
Opération masse critique de Babelio.com

Je reviens avec mes lectures en sortant un peu des sentiers battus de la littérature pour vous faire part de la lecture d’un essai qui m’a été envoyé dans le cadre de l’opération Masse critique de Babelio.

 C’est une véritable enquête que Marie-Monique Robin mène tout au long de ce livre, un travail de journaliste-fourmi qui farfouille les archives, consulte les journaux, interroge les victimes, consulte les « experts », etc. Tout ceci aboutit sur ce livre-enquête (qui existe également sous forme de film documentaire) qui nous apporte une vision historique, socio-économique, politique et scientifique sur cette firme qui a marqué la face du monde et dont l’histoire est d’ailleurs loin d’être finie. Et le moins qu’on puisse dire c’est que Monsanto n’a pas brillé pas par les bienfaits apportés à l’humanité, quoique l’entreprise en dise sur son site internet. Depuis la dioxine (PCB) aux OGM, en passant par l’agent Orange (les défoliants balancés sur la forêt et les hommes pendant la guerre du Vietnam), le Roundup, l’hormone de croissance bovine, les « inventions » semblent se succéder et affecter toujours plus l’humanité et son environnement.

M.-M. Robin montre qu’à chacune de ses transitions industrielles1 Monsanto use des mêmes stratagèmes pour s’imposer et monopoliser le marché : procédure de tests incomplète ou falsifiée2, lobbying auprès d’organismes clefs (comme les commissions d’agrément, les ONG, les grands laboratoires « indépendants » mais aussi la presse, les politiques), large stratégie de communication et de marketing, déni et réaction très tardive lorsque de graves problèmes environnementaux ou sanitaires surgissent, mise en dépendance de ses clients (par le jeu des brevets ou de la complémentarité de ses produits : le syndrome du Kid en quelque sorte, le gosse casse les carreaux et le père fait le vitrier, sauf que dans le cas du Kid c’est de la survie d’un foyer dans la misère dont il s’agit !).

Elle dresse donc dans ce livre un réquisitoire difficilement imaginable. Il est en effet difficilement concevable qu’une société ayant pignon sur rue et commis autant de préjudices (morts, malades, handicapés, enfants difformes, pollutions industrielles lourdes, modification d’écosystèmes irréversible par contamination, mensonges, fraudes, position abusive de monopole, et j’en passe) puisse encore exercer librement comme elle le fait. Imaginez seulement que votre médecin ou votre épicier fasse la même chose et qu’à chaque fois la justice lui dise : « Payez pour réparer !  Mais ne recommencez plus ! » et l’autorise à exercer une activité similaire (genre dentiste ou diététicien)… Ce serait impensable ! Et pourtant…

Car je trouve que derrière cette histoire tapissée d’une épaisse couche de dollars, on voudrait nous faire croire que la rédemption existe, qu’on peut se « laver » complètement de ses erreurs (qui ont tout de même conduit à des désastres sanitaires et environnementaux, à l’échelle d’un individu on appellerait cela des crimes) et trouver une meilleure voie que celle que l’on a choisi jusqu’ici. C’est vraiment l’impression que donne l’histoire de cette société : Monsanto fabrique et commercialise le PCB (alors qu’elle sait rapidement les dommages que générait cette toxine chez les êtres vivants), son image (son « karma ») se dégrade au fur et à mesure que s’accumulent les procès perdus et que les dénonciations des blow-whistlers (les lanceurs d’alerte) se font de plus en plus en plus entendre. Qu’à cela ne tienne ! on tourne la page et on change d’activité en lançant une ligne de produits phytosanitaires qu’elle dit inoffensifs pour l’homme et l’environnement (rappelez vous la pub de Rex pour le Roundup, cf. au dessus) alors qu’ils vont se révéler hautement toxiques (et pas du tout biodégradables cf. l’article de wikipédia pour un aperçu du produit). Elle recommence avec l’hormone de croissance bovine, promettant des miracles aux agriculteurs et une production de lait extraordinaire… Les cheptels meurent, des agriculteurs font faillites, le lait est quasiment impropre à la consommation (rendement nutritionnel inférieur à la normale et surtout avec des traces de cette hormone de croissance)… Et hop, on recommence en créant des Organismes Génétiquement Modifiés qui résistent au Roundup (la fameuse gamme RoundUp Ready) !

Cette société peut-elle avoir du crédit de façon illimitée ? Je veux dire : les autorités – censées nous protéger, nous citoyens – pensent-elles qu’elles peuvent être encore crédibles en « blanchissant » des sociétés dont l’action socio-économique, éthique, écologique est une catastrophe pour la planète ? Selon les conclusions de livre, oui sans doute, hélas.

Car au-delà de l’histoire d’une entreprise, c’est une histoire du libéralisme qui se dessine dans ces pages. Ce même libéralisme qui, à l’origine, réclamait, « la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelles sur le pouvoir du souverain« . De nos jours le libéralisme prône toujours la liberté (mais quelle liberté !!! celle de créer des produits rentables sans en estimer les conséquences ? celle d’être entièrement lié au bon vouloir d’une entreprise pour semer les céréales qui nourriront le peuple ?) mais semble complètement avoir oublié le terme de responsabilité (comment une société constituée d’anonymes actionnaire pourrait-elle se sentir individuellement responsable ? Pourquoi se sentir responsable quand on mis en place une cellule de gestion des risques qui estime que les profits sont supérieurs aux pertes même si le produit s’avérait néfaste ?). Ce livre pose beaucoup de questions en fait sur le devenir de notre société, sur la transformation de la notion de progrès (oui les technologies, fussent-elles nouvelles, n’engendrent pas systématiquement un progrès pour l’humanité), sur notre système de protection vitale (oui nous pourrions très bien créer les moyens de nous détruire en dehors de l’arsenal nucléaire)…

Pour finir, à la manière d’une sentence taoïste, je dirais que celui qui maîtrise un grain de blé maîtrise le monde et que c’est à nous, citoyens, de veiller en permanence à ce qu’aucune mainmise ne puisse être possible sur cette graine de vie.

Ce livre est indispensable pour comprendre les enjeux biotechnologiques mais aussi ceux du libéralisme. Un livre également pour ne pas dire qu’on ne savait pas !

A noter qu’en plus du livre il existe un DVD (déjà diffusé sur Arte) et que l’action menée par M.-M. Robin a donné naissance à un rassemblement citoyens en lutte contre l’entreprise (Combat Monsanto) qui notamment informe de l’avancée des débats, lois et autres actualités sur les biotechnologies.

Je fais de ce livre et de ce DVD des objets voyageurs, pour cela contactez-moi.


En infra...

  1. La firme de Saint-Louis, avant de prendre le chemin des produits phytosanitaires et des biotechnologies était spécialisée dans les produits chimiques lourds : PCB, plastiques, polystyrène ; mais à ses début la firme a construit sa fortune en fournissant de la saccharine (un édulcorant synthétique) à ce qui allait devenir la plus grande marque de soda américaine et également en fabriquant des obus pour l’armée américaine []
  2. Il faut savoir que la plupart des commissions chargées d’autoriser la commercialisation de nouveaux produits, le font d’après un dossier d’expérimentations et de tests fourni par l’entreprise elle-même : les experts des commissions vérifient surtout si les procédures d’expérimentation respectent un certain schéma épistémologique []

6 Comments Le monde selon Monsanto — M.-M. Robin

  1. mc d'augé

    pas lu le livre
    mais vu sur Arte le DVD … l’inverse eût été mieux
    mais grâce à l’un ou à l’autre, quelle désolation ! on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas … bravo pour ton billet Seb

  2. Sébastien

    Livre, film, cela n’est pas important il me semble… Si le reportage audiovisuel peut toucher davantage de personnes alors ce n’est pas un mal 🙂 Le livre a cet avantage qu’il fourmille de références et prouve le sérieux de l’investigation.

  3. caro_carito

    Evidemment, nous vivons dans l’agriculture. Que pouvons nous faire contre Monsanto. Rien, strictement rien vu leur position de monopole. Leur seul but dépendance et hausse des prix.
    Honnêtement au niveau agricole je me demande ce que l’on peut faire en n’oubliant qu’il nosu faut vivre, hé oui.

  4. Sébastien

    MP Robin n’accable pas, loin de là, les exploitants agricoles. Au contraire, elle montre que la firme et les pouvoirs économiques et politiques mettent tout en place pour instituer cette dépendance, pour rendre Monsanto inévitable.

    Sans doute qu’un seul exploitant ne peut rien faire, mais comme on dit, l’union faisant la force, si ils s’unissent, relayés par les consommateurs, les éco-citoyens, il y a peut-être un espoir (enfin surtout il faut garder espoir ^^)

  5. Vinca Alba Minor

    MM. Robin est une extraordinaire journaliste, qui ose braver tous les dangers dans sa quête de vérité. Tous les journalistes dignes de ce nom devraient en prendre de la graine(!) J’ai eu la chance de la rencontrer dans le cadre d’un de ses reportages. Il faut découvrir ses autres enquêtes, toujours exemplaires, sur des sujets tout aussi brûlants que celui ci.

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