Chut (le monstre dort) — Estelle Fenzy

Chut (le monstre dort)

Estelle Fenzy,
La Part Commune, 2015

Chut (le monstre dort), Estelle Fenzy, La part commune

Chut
(Le monstre dort)

Buvons le galop des jours
Et la surprise de vivre

Dans le même verre ((Chut (le monstre dort), Estelle Fenzy, La Part Commune, 2015, p.32))

Chut (le monstre dort) est le premier recueil d’Estelle Fenzy. Un recueil tout en retenue : textes courts, incisifs, comme dégagés de tout superflu, de tous les verbiages inutiles, ces mots qui font perdre du temps et donc l’essentiel :

Penser vif
écrire simple
crier grand (( Ibid. p.15)).

Des textes justifiés au centre qui signent dans l’espace le besoin d’un recentrement, d’une condensation, d’un repli. Le besoin de retenir, de retenir encore le temps et l’espace : « Au lasso l’horizon | je le ramène devant » (( Ibid. p.14)), de retenir le souffle, sensible dans le rythme des vers où le sujet parfois s’élide face au verbe hésitant entre infinitif et impératif : « Tenir bon | ne pas ouvrir | tenir bon » (( Ibid. p.48)), de ralentir, de ralentir le bonheur dans le temps :

  Pas trop vite
les beaux jours
pas trop vite
(( Ibid. p.51))

Ce rythme retenu, contenu, ralenti me fait penser à La ralentie d’Henri Michaux :

On a signé sa dernière feuille, c’est le départ des papillons.

On ne rêve plus. On est rêvée. Silence.

On n’est plus pressée de savoir. ((La Ralentie in Plume précédé de Lointain intérieur, L’Espace du Dedans, Nrf Gallimard, 1966, p. 218))

Mais à la différence de Michaux, le désir de ralentissement n’est pas désir d’abandon progressif au monde, de dépossession de soi mais au contraire l’objet d’une insoumission au monde et à la durée, d’une révolte face à la maladie et à la mort :  il s’agit de « Rentrer en résistance », de « Passer à la chaux | toute forme de reddition » ((Ibid. p.28 & 29)) avec cette faculté toute enfantine d’influer sur le monde par des jeux de superstitions… Ainsi résonne le Chut… Se taire pour ne pas éveiller le monstre, se taire pour faire taire le monde, faire taire la mort… Ainsi font les enfants en fermant les yeux pour se cacher de ce qu’ils redoutent, pour se soustraire à la peur.

Le monstre, Estelle Fenzy le met entre parenthèses, dans un enfermement ouvert, dans un abri borné, un monstre montré mais maîtrisé dans la léthargie, un minotaure bercé par les comptines d’une Shéhérazade enjôleuse :

Chanter berceuse
nuit et jour
empoisonnée

Dors la Bête dors

ne te réveille pas
encore ((Ibid. 46))

Chut (le monstre dort) est une comptine chuchotée, un livre des heures « de la parole retenue », un chant d’amour pudique d’une fille pour son père malade, un premier recueil poignant et captivant qui vous ravit de la première jusqu’à la dernière page.

A noter que le premier recueil va être rapidement rejoint par d’autres, et notamment par un autre recueil, Eldorado Lampedusa, aux mêmes éditions La part commune qui résonne une fois de plus avec ma lecture d’Ellis Island.

Pour aller plus loin :

Ecrire dans les marges

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