« Après les vaches, à qui le tour ? On a rougi et baissé les yeux. On a pensé à nos millénaires de malfaçon.
J’aurais voulu qu’elles sachent qu’elles devaient rester là où elles-mêmes se doutaient qu’elles mourraient, où elles-mêmes se doutaient un peu qu’elles ne pourraient pas rester quand la canicule a frappé la terre des vaches.
J’aurais voulu qu’elles se souviennent.
Jamais vache n’a bu la couleur du sang frais. Mais a toujours su quel genre d’arbre c’était. Un châtaignier par exemple.
La mémoire des vaches n’a pas de profondeur. Elle est plate et douce et répétitive comme un très vieux chant. Elle contient des choses inoubliables et semblables à jamais.
Une vache a facilement le mal d’un pays qui n’existe pas. Elle fait un doux repas dans les fougères mais la nuit est immense. Un pas de plus et les plaies s’ouvrent.
Sachant qu’une vache qui pourrait faire des folies est celle aussi qui jamais ne fait aucune folie. »Vaches, Frédéric Boyer, P.OL, 2008