L’empreinte — Anna de Noailles

Le Cœur innombrable

Anna de Noailles,
Calmann Levy, 1901
Lire le recueil sur Gallica

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L’empreinte

Je m’appuierai si bien et si fort à la vie,
D’une si rude étreinte et d’un tel serrement,
Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s’échauffera de mon enlacement.

La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera, dans la route errante de son eau,
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,
Et la cigale assise aux branches de l’épine
Fera vibrer le cri strident de mon désir.

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,
Et le gazon touffu sur le bord des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l’air ma persistante ardeur,
Et sur l’abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon cœur.

On ne lit plus beaucoup Anna de Noailles. Ce livre, par exemple n’a pas été réédité par Grasset depuis des lustres. Il n’existe pas en livre de poche. Fort heureusement, étant entré dans le domaine public, on peut le lire sur Gallica…

Plage de Calais à marée basse ; Joseph Mallord William Turner

C’est encore un poème que j’ai découvert grâce à  la magnifique interprétation d’Angélique Ionatos, que voici.

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Sur la mer…

Trois extraits de textes…

Comme une énigme posée à la mer. Trois textes, trois mers différentes – la Bretagne au creux d’un coquillage de Julien Gracq; la mer d’Irlande sur la ligne presque parfaite de Maam-Cross à Unst, en passant par Iona de Pierre Cendors et  la Méditerranée d’Eugenio Montale pour laquelle toute terre émergée est une finisterre. Trois espaces aux latitudes diverses ; et pourtant ce sont des mots qui chantent encore ces lieux sur des accords intérieurs.

Pour ceux qu’elle aura choisis, c’est peu de visiter la Bretagne. Il faut la quitter en souhaitant d’y vivre, l’oreille collée contre ce profond coquillage en rumeur. Et son appel est celui d’un cloître au mur défoncé vers le large : la mer, le vent, la terre nue et rien. C’est ici une province de l’âme. Julien Gracq, Lettrines, Ed. Corti, 1967

Source http://www.nickelarse.com/displayphoto.php?2805

Vienne l’instant où
il faut se lever et
partir
vers la mer le vent
écouter
le chant runique
du vide […] »


Maam Unst Iona

encore trop de mots
pour dire ce vide lucide […]

Pierre Cendors, Chant runique du vide, Eclats d’encre, 2010

Le voyage prend fin ici:
dans les soucis mesquins qui divisent
l’âme qui ne sait plus émettre un cri. […]

Le voyage prend fin sur cette plage
que harcèlent les flots patients.
Rien ne dévoile, sinon des fumées paresseuses,
le rivage que tissent de conques
les vents bénins : et rarement se montre
dans la bonace muette
entre les îles d’air migratrices
la Capraia, ou la Corse échineuse.
Tu demandes si tout s’évanouit ainsi
dans cette mince brume de souvenirs ;
si dans l’heure qui somnole ou si dans le soupir
du récif s’accomplit tout destin.[…]Eugenio Montale, La maison sur la mer
in Os de Seiche, Poésie/Gallimard, 1991

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