Le Ciel brûle — Marina Tsvetaïeva

Le Ciel brûle
suivi de Tentative de jalousie

Marina Tsvetaïeva
Éditions Gallimard

Le ciel brûle, Marina Tsvétaïéva

 

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Les nuits sans celui qu’on aime – et les nuits
Avec celui qu’on n’aime pas, et les grandes étoiles
Au-dessus de la tête en feu et les mains
Qui se tendent vers Celui –
Qui n’est pas – qui ne sera jamais,
Qui ne peut être – et celui qui le doit…
Et l’enfant qui pleure le héros
Et le héros qui pleure l’enfant,
Et les grandes montagnes de pierre
Sur la poitrine de celui qui doit – en bas…

Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,
Je connais ce mystère sourd-muet
Que dans la langue menteuse et noire
Des humains – on appelle la vie.

Marina Tsvetaïeva

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Le ver à soi — 2. le cocon

Voici donc la seconde version du poème. Outre son passage (peut-être provisoire) à une forme plus classique, alexandrins et rimes, le poème s’est défait de quelques défauts : clichés et expressions attendus (« ombre au miroir », « pétales à peines éclos », « source qui t’éveille »), présence trop prématurée du pronom personnel à la deuxième personne, etc.. Il s’est en revanche enrichi d’euphonies, d’ambiguïtés et sa chute a été nuancée.

Sans défaire ce qui au hasard appartient
Sans émousser l’ombre du scintillant doloir
Sans réduire la pluie à son souffle d’écume
Sans alourdir l’inutile d’un fardeau de plumes
Sans ajouter au tard le fard du nonchaloir

Prends l’encre à l’endroit d’où s’écoule ce qui vient

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Le ver à soi — 1. Le ver

Je retravaille actuellement un poème que j’ai retrouvé dans mes archives et je voulais inscrire ici le cheminement de sa métamorphose. Voici donc la version originale.

Sans défaire ce qui t’appartient
Sans ôter une ombre au miroir
Sans soustraire à la pluie ce bruit indolore
Sans bercer le souci pétales à peine éclos
Sans réveiller la source qui t’éveille
Sans rajouter un trait au masque que tu peins
Prends l’encre là où elle vient

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Le poète quitte L’Isle-sur-la-Sorgue ?

C’est une nouvelle qui m’attriste :  l’Isle-sur-la-Sorgue, suite à une rupture dans la convention qui liait la municipalité à Marie-Claude Char, la veuve de René Char, se voit retirer le fond privé et l’univers du poète…  En effet, la municipalité souhaite maintenant diversifier les expositions temporaires, sans souci du lien avec l’univers du poète, ce qui pour l’ayant-droit et la gardienne de l’héritage culturel du poète annonce une rupture avec la convention initiale : « La convention spécifiait que les artistes aient un lien, même éthique, avec Char. Le maire a d’autres projets, il contredit le projet culturel qui nous liait à la mairie ».

La maison de René Char, que j’ai eu l’occasion de visiter il y a deux ans, se vide complètement de l’âme qui l’habitait encore. L’éthique n’a plus de terroir et le patrimoine se vend « comme le savon à barbe ».

 
 

Qu’il vive !

Ce pays n’est qu’un vœu de l’esprit, un contre sépulcre.

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n’y a pas d’ombre maigre sur la barque chavirée.

Bonjour à peine est inconnu dans mon pays.

On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de ne pas avoir de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.

René Char, Qu’il vive, in Les Matinaux, 1968

 

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Car nous voulons la Nuance encor — Verlaine

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.

Art poétique, Paul Verlaine
Jadis et Naguère, 1874

La nuit étoilée sur le Rhône, Van Gogh

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Nuages (I) — J.-L. Borges

Tempête sur les côtes de Belle-Ile, Théodore Gudin (1802-1880)

Pas une chose au monde qui ne soit
Nuage. Nuages, les cathédrales,
pierre imposante et bibliques verrières,
qu’aplanira le temps. Nuage l’Odyssée,
mouvante, comme la mer, neuve
toujours quand nous l’ouvrons. Le reflet
de ta face est un autre, déjà, dans le miroir
et le jour, un labyrinthe impalpable.
Nous sommes ceux qui partent. Le nuage
nombreux qui s’efface au couchant
est notre nuage. Telle rose
en devient une autre, indéfiniment.
Tu es nuage, tu es mer, tu es oubli.
Tu es aussi ce que tu as perdu.

Nuages (I), Jorge Luis Borges, Les Conjurés,
traduction par Claude Esteban,
dans Œuvres complètes, op. cit., p. 941.

Poème que j’ai découvert dans la toujours excellente anthologie permanente de la poésie, j’ai nommé Poezibao.

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Dans la forêt — Jules Supervielle

Arbre abattu

Dans la forêt sans heures
On abat un grand arbre.
Un vide vertical
Tremble en forme de fût
Près du tronc étendu.

Cherchez, cherchez, oiseaux,
La place de vos nids
Dans ce haut souvenir
Tant qu’il murmure encore.

Jules Supervielle,  in Le forçat innocent, Poésie Gallimard

 

Bonne année à tous et meilleurs vœux pour cette deuxième décennie que je souhaite pleine de promesses…

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