La bibliothèque est en feu…

[…] L’éclair me dure.

Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compagnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert afin que j’en triomphe. Aucun autre. Ni cieux, ni terre privilégiée, ni choses dont on tressaille.
Torche, je ne valse qu’avec lui.

On ne peut pas commencer un poème sans une parcelle d’erreur sur soi et sur le monde, sans une paille d’innocence aux premiers morts.

Dans le poème, chaque mot ou presque doit être employé dans son sens originel. Certains, se détachant, deviennent plurivalents. Il en est d’amnésique. La constellation du Solitaire est tendue.

La poésie me volera ma mort.

Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la dureté terrestre, la finitude du poème est lumière, apport de l’être à la vie.

Le poète ne retient pas ce qu’il découvre ; l’ayant transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa nouveauté, son infini et son péril.

Mon métier est un métier de pointe.

On naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi les dieux.

La terre qui reçoit la graine est triste. La graine qui va tant risquer est heureuse […] »

René Char, « La bibliothèque est en feu… »,
in La Parole en archipel,Gallimard, la Pléiade, p378

Des pages, comme celle-ci et beaucoup d’autres, nous accompagnent toute notre vie… Le livre peut disparaître, la bibliothèque brûler, le poète devenir amnésique ou mourir : le poème est pulvérisé, la graine est semée dans l’opacité de l’air, dans l’ombre de la terre. Poète « est un métier de pointe« . Lecteur n’est pas un métier, il n’est que la navette qui file la trame d’un métier qui le dépasse et dont il veut rapprocher les fils que l’on appelle la chaîne.

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La géométrie de l’Univers selon Borges

La ligne est composée d’un nombre infini de points ; le plan, d’un nombre infini de lignes ; le volume, d’un nombre infini de plans ; l’hyper-volume, d’un nombre infini de volumes… Non, décidément, ce n’est pas là, more geometrico, la meilleure façon de commencer mon récit. C’est devenu une convention aujourd’hui d’affirmer de tout conte fantastique qu’il est véridique ; le mien, pourtant, est véridique.

Le livre de sable, J.-L. Borges,  Folio Gallimard

L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d’aération bordés par des balustrades basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. […] Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n’est pas infinie; si elle l’était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ?

La bibliothèque de Babel in Fictions, J.-L. Borges, Folio Gallimard

 

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Les dessous de Madame Bovary

Etouffement et tristesse - illustration de A. Richemont, gravées à l'eau-forte par C. Chessa. Paris : F. Ferroud, 1905

Il y a quelques temps je vous parlais de Madame Bovary (je vais y revenir encore prochainement d’ailleurs !), à travers un extrait à lire et à travers la Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary de Philippe Doumenc. Que les adorateurs de cette pathétique provinciale se réjouissent, que les férus admirateurs et lecteurs de Flaubert sautent de joie, que les amoureux transis des manuscrits et autres matrices généalogiques de l’oeuvre chantent d’allégresse… Ils l’ont rêvé, la Bibliothèque de Rouen, aidée de nombreux partenaires, l’a fait.

Depuis le 15 avril, les 4500 feuillets du manuscrit de Madame Bovary sont en ligne ainsi que leur retranscription. On peut y lire simplement le roman en ligne, ou par des jeux de liens, se retrouver au cœur de l’édition manuscrite avec en vis-à-vis une retranscription. Cette dernière a été réalisée par 600 bénévoles, âgés de 16 à 77 ans, à travers le monde. Un travail colossal !

Site : http://www.bovary.fr

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