Autres traces dans la neige

Je vois Perceval partout. Toujours et ailleurs. Tel au carrefour de ce très beau recueil « Baltiques » de Tomas Tranströmer…

 

Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens!
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots mais un langage.

Tomas Tranströmer, En Mars – 79 in Baltiques
Poésie Gallimard

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Le ver à soi — 2. le cocon

Voici donc la seconde version du poème. Outre son passage (peut-être provisoire) à une forme plus classique, alexandrins et rimes, le poème s’est défait de quelques défauts : clichés et expressions attendus (« ombre au miroir », « pétales à peines éclos », « source qui t’éveille »), présence trop prématurée du pronom personnel à la deuxième personne, etc.. Il s’est en revanche enrichi d’euphonies, d’ambiguïtés et sa chute a été nuancée.

Sans défaire ce qui au hasard appartient
Sans émousser l’ombre du scintillant doloir
Sans réduire la pluie à son souffle d’écume
Sans alourdir l’inutile d’un fardeau de plumes
Sans ajouter au tard le fard du nonchaloir

Prends l’encre à l’endroit d’où s’écoule ce qui vient

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Le poète quitte L’Isle-sur-la-Sorgue ?

C’est une nouvelle qui m’attriste :  l’Isle-sur-la-Sorgue, suite à une rupture dans la convention qui liait la municipalité à Marie-Claude Char, la veuve de René Char, se voit retirer le fond privé et l’univers du poète…  En effet, la municipalité souhaite maintenant diversifier les expositions temporaires, sans souci du lien avec l’univers du poète, ce qui pour l’ayant-droit et la gardienne de l’héritage culturel du poète annonce une rupture avec la convention initiale : « La convention spécifiait que les artistes aient un lien, même éthique, avec Char. Le maire a d’autres projets, il contredit le projet culturel qui nous liait à la mairie ».

La maison de René Char, que j’ai eu l’occasion de visiter il y a deux ans, se vide complètement de l’âme qui l’habitait encore. L’éthique n’a plus de terroir et le patrimoine se vend « comme le savon à barbe ».

 
 

Qu’il vive !

Ce pays n’est qu’un vœu de l’esprit, un contre sépulcre.

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n’y a pas d’ombre maigre sur la barque chavirée.

Bonjour à peine est inconnu dans mon pays.

On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de ne pas avoir de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.

René Char, Qu’il vive, in Les Matinaux, 1968

 

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Dieux des maux, d’émois et démons

Théo rit. Son thé est cause d’euphorie :
« Saté au riz ce que le thé est au logis »
Sa théorie : un théorème qui portait haut
La clarté odorante d’un été aux bougies.
Très haut ? ma non trop haut !

Son théorème hérité démodait dieu,
Son thé aurait mérité des mots, des dieux.

Théo voulait dicter aux météores
De s’arrêter aux mois en or :
Messidor, Thermidor, Fructidor ;
Car mieux vaut l’été au nord,
Où la potée ose quand Théo dort.

« Et pis t’as la météo » tonne son nid vert :
Vendémiaire, Brumaire, Frimaire ;
Epithalame : été, automne, son hiver,
Quand Prométhée odieux s’enfermait aux enfers,
Qu’en promet Théo au dieu : sang, fer, métaux, zinc, fer…

C’est couru : mais Théo est versé dans l’athéologie
Sa théorie : ce que la théologie
A ôté aux athées, les athées le rendent aux dieux
En étant des rangs d’hôtes très odieux

Sur ces mots atterrés, Théo dit « c’est assez ».
Et, son thé bu, Théo file chez le gantier.1

  1. Retour Oulipien après une longue pause bloguesque, je vous fais part ici d’un petit poème labyrinthique (ma première production pour Fanes de Carottes en fait) : quand les syllabes sont des couloirs, les mots se perdent dedans, à l’infini et avec un plaisir non dissimulé. []
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Au palais audacieux — Antilipogramme

Des saucisses salées, sapées de pellicules adipeuses,
Des ailes, des culs, des aisselles de cailles piailleuses,
Des appeaux caudaux d’aspics aux écailles déliées,
Des dédales de lieux aux pupilles épuisées,

Des cascades peuplées, ici delà, de cèpes pulpeux,
D’excès d’épaules aillées, de pieds pelés délicieux,
Des lacis, des lacs, des suées de sauces épicées,
Des palissades de salades, des caps acidulés,

Puis des claies luxueuses paillées de saulées,
Des allées de peccadilles capées de cassis pilé,
Des eaux de liesse spécieuse, des écluses éclipsées
Aux écuelles de suie siliceuses. A l’issue, sa lippe lassée.

La dalle, la pépie épuisées, il accuse la pesée des lipides,
Il paie à la caisse l’excès, l’audace de ses papilles cupides.

Le plus délicieux des délices ? Ce supplice :
Elle, la lucide liseuse assise au seuil de la salle,
L’idéale déesse, l’île seule, ce calice à la peau pâle,
La pause, l’escale, l’assidu délice, la sexuelle ellipse.1

  1. Voici donc le premier antilipogramme (dix lettres seulement : ALEPUSDICX) que je vous présente. Il a été rédigé pour Fanes de Carottes et répondait au thème suivant : Le plus délicieux des délices. Je voulais montrer la profusion, la prolifération adipeuse – liposaturée diraient les mauvais esprits – jusqu’à la nausée, au moyen de ces dix pauvres lettres. La fin (faim) du poème met en avant le désir par-delà le désir. Ce qu’il est encore possible de trouver comme désir en soi quand tout à été ressassé, ressucé jusqu’aux os ; ce qui, même repu à l’extrême, peut-être encore ressenti comme étant la seule escale possible et inassouvie d’un désir saturé. Evidemment, je joue sur la proximité des chair(e)s… []
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L’asile Ami — Robert Desnos

L’ASILE AMI

Là ! L’Asie. Sol miré, phare d’haut, phalle ami docile à la femme, il l’adore, et dos ci dos là mille a mis! Phare effaré la femme y résolut d’odorer la cire et la fade eau. L’art est facile à dorer : fard raide aux mimis, domicile à lazzis. Dodo l’amie outrée !

Robert Desnos, Corps et biens, Poésie Gallimard, p. 104

 

L'asile Ami

Ré si do bémol fa dièse (Récit d’aube et molle fad(i)aise) Quel bonheur d’avoir un système de notation musicale vocalisé en français!

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