Être une femme, Écrire

‘L’ être une femme’ revient pour vous parler de son rapport à l’écriture.

 

L’écrire a cette magie de nous faire découvrir des sens cachés au fil et à mesure des lignes. Les mots s’enfilent, s’entrechoquent, se délient afin de se libérer.

Écrire, un sens ?

 

Trop de points de suspensions dans tous ces écrits. Pour éviter de perdre le fil, par peur d’oublier une idée qui survient. Mais cela empêche, en quelque sorte, l’idée d’être fouillée –approfondie.

Par souci de ne pas faire des phrases trop longues, trop mal construites. Des répétitions. Un sens admissible il nous faut. Écrire pour être lu. Les mots doivent être lus quand on les écrit. Même par nous-mêmes ! Surtout par nous-mêmes ! On doit avant tout se comprendre, comprendre les mots que l’on emploie, essayer d’être au plus juste de notre pensée par l’intermédiaire de nos connaissances, de nos acquis verbaux. Et, on n’en sera jamais satisfait, car la pensée dépasse les mots. On peut croire que les mots font la pensée, ils la limitent. On oublie les Sensations qui font la pensée. Les vapeurs qui entourent les mots à l’intérieur de notre psychisme. Certains le pensent « Inconscient ». L’Inconscient qui échappe, qui possède les clefs, qui est de surcroît très joueur puisqu’il les cache. L’Inconscient ne résout pas le procédé mental. Il arrange. « Pas vu. Pas pris ».

Il reste un mystère sur cet enchevêtrement de canaux.

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Je me pousse à écrire. Les mots pouvant s’enchaîner et parfois donner sens aux pensées répétitives, lorsqu’ils sont écrits. Car ils pénètrent le vide qui contient toute pensée et arrivent à la feuille par le conduit central qui donne l’équilibre à la conscience.

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D’écrire, les mots ralentissent en pensée, laissant le temps aux mots de s’inscrire, de s’écrire. Les idées, les pensées, continuent leur danse autour, attendant leur tour, celui qui les transformera en mots, puis les emprisonnera sur papier. Invités à une danse, écoutent la musique des autres pensées autour.

 

Le premier geste

Il est temps de passer un peu de temps avec ces lignes…

 

Lumière et couleur, W.Turner

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Je me décide enfin à prendre la feuille blanche et le crayon. Je change de crayon. Juste ces mots pour me donner l’entrain à commencer. Je me plonge mais revient à la surface avec des : « ? ». Qu’est-ce que je voulais dire ? Cette feuille et ce crayon n’étaient pas là par hasard. Alors qu’attentent-ils de moi ? Dois-je livrer ceci ou cela ? Et pourquoi ceci, plutôt que cela ?   ……

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Nouveau cahier, nouveau stylo.

Me voilà comme écolière à la veille d’une rentrée. Toute excitée. M’appliquant, avec ma plus belle écriture. (…)

Et voilà, un nouveau cahier, un nouveau stylo et je ne sais déjà plus pourquoi ils sont là, ce que j’entrevoyais de me dire. ? Pause. Silence. Pour me rappeler. Je ne me souviens plus. Ca va revenir. En attendant, une confiture à terminer.

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Besoin immense de sentir l’odeur inodore du papier. Parcourir ligne par ligne la « forêt Poucet » – car ici il y a lignes, mais elles ne sont en rien indispensables à mon sautillement sur ces pierres furtives.

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Un nouveau cahier, de nouvelles feuilles à remplir et à relire.

Une continuité à l’autre, le rouge.

Tout reste possible. Écrire pour écrire. Écrire pour s’écrire, se clarifier et même s’aimer.

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Je n’ai plus les mots qui me venaient en pensant sans écriture. Peut-être sans réfléchir, sans chercher, en laissant aller l’encre parler pour soi.

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J’ai toujours eu besoin d’écrire sur du beau papier, dans une certaine condition. Échappant à ce qui m’entoure. M’empêchant d’écrire autrement, sauf si le besoin était vital.

Aujourd’hui, je ne sais si cela est vital. C’est comme prendre un risque, sortir des rituels et tout lâcher. J’ai eu souvent l’envie de me jeter dans le vide sans vouloir savoir ce qu’il adviendra. Je l’ai peu fait. Sauf par Amour.


Un besoin vital

Pas une note, pas un mot durant toutes ces semaines, qui pourtant ont été si riches de sens.

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Mon rapport à l’écriture est charnel, charnu. J’écris pour me tatouer sur la peau ce que mes cellules savent déjà. Inciser des carrés de peau que je colle sur le papier. Triturer dans mes viscères. Plonger avec mes mains à l’intérieur de mon corps, à la recherche de globules de toutes les couleurs. Cracher des mots avant de les digérer, d’en oublier leur substance. Dépiauter les fils d’haricots verts, mettre au bord de l’assiette le gras de la viande rouge. S’écraser contre la page en plein vol et dégouliner du nez. Écrire pour moi quand mon corps s’agite ou se repose. Par nécessité. Afin de me relire plus tard et comprendre d’un autre œil ce que j’ai voulu dire à ce moment-là.

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Extirper par l’écriture. J’ai tant de fois imaginé ce qui pourrait être noté sur un bout de papier, sans y aboutir. Il y a tellement de temps que je n’ai osé le faire. Je me suis souvent demandée pourquoi. Peut-être par peur, peur de tracer clairement ce qui tourbillonne dans cette tête bouclée et d’en sortir de l’inavouée, de pousser certaines pensées jusqu’à un endroit qui m’est difficile à voir (que je refuse de voir, car trop perturbant). Et pourtant j’ai souvent eu très envie d’y aller. La peur dit non mais oui.

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Tant de pensées, de questions. Si on peut dire, la plus courante : Pourquoi lorsque j’ai tant besoin d’écrire, que le fil des mots n’attend que le crayon et le papier, tout s’anéantit, rien n’aboutit ? C’est lorsque j’ai le plus besoin d’écrire qu’une certaine crainte m’envahit et m’empêche de le faire. Paradoxe que je cherche à comprendre…

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Je ne veux pas refermer la page. J’ai l’impression de ne pas en avoir dit assez. Impression aussi de rattraper un temps perdu. Celui où je me suis retenue d’écrire tout cela, en pensant que le moment viendra…

Mais parfois, à attendre une bénédiction, on ne fait rien. En laissant les choses se dérouler autour de nous en tant que spectateur, on en oublie d’être acteur. Acteur de nos propres vies.

Je n’ai pas la sensation d’être novatrice en disant tout cela. Je répète. Je répète ce qui a déjà dû être dit des milliers de fois et qu’il ne faut cesser de répéter.

C’est peut-être le caractère d’universalité banale de tels propos qui m’a empêchée d’écrire.

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J’écris pour saisir. J’exulte ce que je ne peux dire, confier.

 

Trace 104, Sounya

 

L’attente des écrits de l’autre (correspondance)

Quand m’écriras-tu ? Quand recevrais-je une lettre ? Quand arrêterais-je d’attendre ?

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Il y a un aspect irréel à cette rencontre à distance. Les corps vivent à travers le stylo, de manière manuscrite. La distance n’inclut pas toujours le recul.

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J’attends toujours ce prochain message parce que j’ai peur qu’il se rétracte, peur de me tromper, de mal interpréter les précédents. Peur qu’il s’arrête de m’écrire.

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J’attends toujours un signe, un message. C’est affreux, incontrôlable. Me sentir un peu importante à ses yeux.(…)

Il ne m’écrira pas, ni aujourd’hui, ni demain peut-être… J’attendrai et arrêterai d’attendre.(…) Je suis devenue dépendante de cette correspondance, en la faisant mon pain quotidien.

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Ne pas savoir lorsque cela concerne une absence, un silence… Nous pouvons tout imaginer, des pires aux meilleures circonstances. L’imagination piétine et attend une ou plusieurs vérité(s) liée(s) à la réalité palpable. Le ‘pourquoi’ alors fait rage ! La disparition subite -lorsque l’habitude de la présence a pris sa place- sans écrit, sans justification. La sensation de l’abandon, trop de fois goûtée. On a toujours besoin de se donner des raisons à une disparition, telle qu’elle soit, pour en faire le deuil. Rien n’émerge du néant.

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Je suis juste un peu triste que cette correspondance se taise. Tout ou rien. J’aimerais sentir quelques demi-mesures, un angle différent qui nous permettent de communiquer, même si nous avons eu ce rapprochement charnel.

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Je n’ai rien aujourd’hui. Ce sera certainement pareil demain et les autres jours… J’en crève.

Pas le temps, l’envie, je n’attends qu’un mot, une phrase, qu’il me le dise. A la place, ce silence de mort. Je sais qu’il peut le laisser s’installer longtemps, jusqu’à en oublier mon existence. Cette force-ci, je ne l’ai pas. Mon besoin ardent de communiquer brise le silence.

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J’ai fait sans lui toutes ces années .Il faut que je continue. Sans lui, définitivement. L’écrire pour le marquer. Sans lui, irrémédiablement. Il ne doit plus exister dans les fluides de mon cerveau, échapper à ma pensée. Il ne doit plus subsister dans mon corps, ni son odeur, ni sa sueur, ni son souffle. Ses mots doivent être cachés et oubliés.

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Regards et iti­né­rances sur estampes — Olivier Boivinet

Regards et iti­né­rances sur estampes

Gravures et son d’Olivier Boivinet
Galerie Kayodé

Du 1er au 30 octobre 2010

Le titre en soi est une invitation. Une invitation au voyage au sens baudelairien, une promenade des regards, une errance dans cette merveilleux pays qu’est l’estampe.

Olivier Boivinet accompagne également ses gravures de textes  dont certains me touchent beaucoup, comme celui-ici accompagnant la « Saison des âmes errantes » :

L’eau ruisselait assourdissante. Transhumance de bois flottés. Plaines et rizières délaissées.

Les tisserands de l’eau sur de frêles embarcations, partaient à contre-courant pour les monts d’ocre rouge.

Après plusieurs jours de navigation, les cathédrales de bambous se dévoilaient sous un voile de brume, au milieu des vallées englouties.

Attendre la lutte incessante des courants contrariés.

Attendre l’instant où ciel et terre seront réconciliés.

Attendre la retraite des eaux des cieux enfin apaisés. 

A noter que dans le cadre de l’association Sténopé, Cécile et moi, nous préparons une exposition intitulée « Feue la salamandre », qui associera textes, images et dispositifs… Cela se passera également dans la Galerie Kayodé, au mois de février mais j’y reviendrai sans aucun doute ici.


Prolonger la rêverie

 

Ecrire en marge
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Le jeu, l’enjeu? Introduction

Lorsque je joue c’est comme une enfant. Avec la naïveté primitive d’un regard innocent. Sans anticipation malsaine. Baignée d’éclats de rires et de fraîcheur souveraine.

Les jeux des « grands » m’exaspèrent, souvent trop sournois, manipulateurs, tristes. Un amas de sinusoïdales incompréhensibles.

Je me déplace au milieu de ce carnaval pitoyable du haut de mes talons de peau. Une forêt abrutissante, peuplée de gens qui ne s’écoutent pas. Ils hurlent leur vérité sur des bannières personnifiées. Ils se cramponnent à leur mât, de peur de s’envoler.

 

Mes racines au fond du sol, je pousse au dessus de mes plantes de pied, mes boucles légères caressent les nuages. Spectatrice d’un carnaval de fête et d’enfants. Farandoles joyeuses d’êtres libertins.


Meredith Monk et sa féerie réaliste.

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La géométrie de l’Univers selon Borges

La ligne est composée d’un nombre infini de points ; le plan, d’un nombre infini de lignes ; le volume, d’un nombre infini de plans ; l’hyper-volume, d’un nombre infini de volumes… Non, décidément, ce n’est pas là, more geometrico, la meilleure façon de commencer mon récit. C’est devenu une convention aujourd’hui d’affirmer de tout conte fantastique qu’il est véridique ; le mien, pourtant, est véridique.

Le livre de sable, J.-L. Borges,  Folio Gallimard

L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d’aération bordés par des balustrades basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. […] Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n’est pas infinie; si elle l’était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ?

La bibliothèque de Babel in Fictions, J.-L. Borges, Folio Gallimard

 

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