Ecrire en margeBleu / Orange / Vient / Non / Pars / ici / Mieil / Mi amor / Combien? / J’en veux pas / Peut-être / Discrétion / Indécision / J’en veux pas / Manque d’amour / Hola / Qué tal? / Ptét bien / Chocolat au lait ou blanc / Rond / comme une orange / juteux / qui glisse autour du globe / Viens / Prends ton chemin / Détour et des nuits / Cheveux blancs / Vieux / Vieille âme / par habitude / Trop plein du vide / Généalogie / Aabre vivant / racine enfouie /lointain / proche / Viens / Tiens / Bâton / Haut dans le ciel
Dessin dans les nuages
Pâquerette poétique / Gratouillis / nez qui coule / emmène moi / je ne sais où, surprends moi aime-moi, montre moi,
sois mon enfant.
Tramway
Des mots sur la toile
Puisque je « rapatrie » les textes écrits en dehors du labyrinthe, je remonte ce billet publié sur le webzine Fanes de carottes en décembre 2008, en y incluant cette fois-ci le texte… Le thème proposé était « Musée improbable » et j’ai parlé de mes musées imaginaires. Il était en cinq épisodes, le voici in extenso découpé en 5 pages. Les illustrations photographiques sont d’InFolio, merci à elle pour ces fabuleux paysages déserts…
Des mots sur les toiles
Mon grand-père était poète. Ou peintre. Enfin un peu des deux.
Je n’aimais pas être en vacances chez mes grands-parents. Je me souviens qu’ils habitaient une petite maison triste dans un pays lui-même triste à mourir, un pays où le temps paraissait toujours gris, où les gens dans les rues donnaient cette impression de toujours tenir un parapluie à la main. Je ne connaissais pas les enfants des alentours pour la simple raison que mes grands-parents ne me sortaient guère et qu’il ne m’était pas permis de franchir le portail gris, lui-aussi, qui donnait sur la rue. Ce n’était pas par méchanceté, je pense, mais simplement parce que cela répondait aux impératifs et aux habitudes de leur quotidien. Je passais alors beaucoup de temps à l’intérieur de leur maison. Cependant, en de rares occasions, j’avais le droit de sortir dans le jardinet qui encerclait la bâtisse. L’aire jouable du jardin se résumait à une maigre allée délimitée par des bordures en béton, celles en forme de créneaux arrondis. Mes grands-parents avaient beau habiter dans le faubourg, être à la ville depuis plusieurs générations, ils avaient connu la guerre, les restrictions, la faim, aussi mon grand-père perpétuait-il la tradition du potager. La plus grande partie du jardin était donc cultivée : des parcelles de terre grisâtre où s’étalaient géométriquement des lignes de poireaux, d’aulx ou d’oignons, quelques rangs de laitues, quelques choux verts et fleurs, des pommes de terres gisant sur le sol, trois fraisiers dégarnis. Un châssis était dévolu aux plantes aromatiques, ciboulette, persil, thym et basilic essentiellement. Un autre servait à accumuler le composte et la fumure qui servirait à enrichir la terre au printemps. Des pieds rachitiques de tomates et de courgettes gisaient là, au milieu de coquilles d’œufs, d’épluchures et de déchets organiques.
Certaines parcelles étaient vides. Cependant la loi de la jachère potagère les destinait déjà à d’autres usages, d’autres semis, et la terre fraîchement bêchée, sombre et humide ne permettait aucun jeu. Parfois, je passais du temps devant les clapiers en béton. J’observais attentivement à travers le grillage les lapins ronger du fourrage, une feuille de salade, des fanes de carottes ou encore ces granulés qu’on leur donnait l’hiver dans de petites écuelles en fer blanc. De temps en temps, mon grand-père me faisait monter dans sa voiture et nous partions à l’aventure couper de la luzerne, du trèfle et de la paille que nous ramenions pour les longues oreilles.
La maison pouvait paraître triste, mais elle était d’une propreté incommensurable. Ma grand-mère entretenait la maison à longueur de journées avec cette patience et cette minutie qui ne s’expliquent que chez les personnes pour lesquelles l’ordre et l’hygiène de la maison sont le reflet exact de l’honnêteté de ses habitants.
Ma grand-mère avait un rituel inaltérable qui donnait certainement à ses journées une consistance singulière qu’elle seule devait être en mesure d’apprécier. Elle lavait d’abord la vaisselle courante. Parfois elle lavait d’autres vaisselles encore, des services accumulés au fil du temps, des anniversaires de mariages, des fêtes des mères, des Noëls. Cette porcelaine et cette argenterie de second ordre dormaient dans des cartons soigneusement fermés et reclus dans de lourdes enfilades qui sentaient la colle et le vernis. Parfois, il lui prenait l’envie de nettoyer aussi les bibelots, les porcelaines, les vases, des pots en verre ou en grès, des cadres laqués vieillots qui recelaient des photos vieillottes, des portraits anciens et délavés, des poses maladroites d’enfants assis devant leurs parents, des assemblées réunies devant l’église quand les mariés viennent juste d’en sortir, et des gravures naïves d’angelots lascifs ou de vierges auréolées… Quand elle s’attaquait à ces vieilleries, elle les entassait sur la table de la cuisine et un grand désordre envahissait la cuisine, la transformant en marché aux puces de fortune.
Quand tout était lavé, essuyé et rangé, elle s’attaquait ensuite à la poussière. Elle entrait alors dans un cagibi dont les murs étaient transformés en râteliers garnis de son armurerie ménagère et en ressortait armée d’un balai, d’une balayette, d’une petite pelle métallique et d’un long plumeau. Elle s’affairait sur les sols, les murs, tapait les coussins du divan, sortait les tapis non sans leur donner quelques vigoureuses secousses, elle caressait tout de son plumeau, les rideaux, les tableaux sur les murs, les meubles et leurs bibelots, les chaises, et même la télévision avait droit aux chatouillis des plumes.
Une fois la poussière vaincue, elle lavait ensuite les vitres, l’extérieur puis l’intérieur, les montants et finissait toujours par passer dessus une feuille de papier journal froissé et imbibé de vinaigre. La moindre trace récalcitrante passait au crible de son regard acéré.
Ensuite venait le tour des sols, des carrelages et des linos qu’elle lavait à grandes eaux, en veillant à ce que l’eau de son seau fut toujours assez limpide. Elle nettoyait les plinthes avec une éponge et du Saint-Marc. « GrandMa ? Pourquoi ton sol est aussi propre que les assiettes ? » Cette remarque lancée un jour la fit sourire….
Elle cirait ensuite les parquets, les meubles, la table puis les lustrait énergiquement, encore et encore. La maison à ce stade de la journée ressemblait à s’y méprendre à une ruche : l’odeur de cire avait envahi tous les coins et recoins de la maison et ma grand-mère, unique abeille active de l’édifice, agitait les bras sur les rayons du salon. Et l’on pouvait entendre le chiffon de laine bourdonner à la surface de la table.
Quand elle avait fini ce grand nettoyage, il devait être aux alentours d’onze heures du matin. Elle passait alors à la cuisine et préparait les deux repas de la journée, celui du soir étant souvent une accommodation des restes. Sa cuisine était plutôt simple et rustique : des potages aux légumes, des bouillons de pâtes, parfois quelques œufs mimosas, ou quelques crudités, carottes râpées, betteraves en cubes, céleri rémoulade ; des plats mijotés, à base de bœuf, de porc ou de lapin accompagnés de carottes, de navets, de céleris, de quelques patates, et parfois de riz ; si le temps ne lui faisait pas défaut, elle préparait quelques desserts lactés, riz au lait, crème anglaise avec des nuages d’œufs en neige qui flottaient comme des îles.
Elle gardait toujours le nettoyage de la cuisine et les sanitaires pour après manger, non pas qu’elle avait peur de ne rien avoir à faire dans l’après-midi – les courses, les lessives, la couture, et elle faisait même briller les cuivres quand elle se trouvait oisive – mais parce que, disait-elle, c’était inutile de les nettoyer avant qu’ils n’aient servi.
Évidemment, au milieu de toute cette activité ordonnée, il n’y avait pas la place pour un petit garçon comme moi. Je trouvais refuge là où je pouvais, tâchant toujours d’opérer un retrait stratégique quand ma grand-mère gagnait du terrain.
Je m’efforçais de me faire oublier, en me cachant sous la table, en jouant sur le sol fraîchement briqué du couloir – mais jamais longtemps car je gênais les allées et venues de la ménagère – ou alors je me collais dans un fauteuil en regardant d’un œil morne les programmes sportifs sur la télévision en noir et blanc.
Un jour, alors que je fuyais pour la énième fois ma tornade de grand-mère, il me prit l’idée de monter à l’étage. En raison de mon jeune âge, et parce que mes grands-parents étaient toujours très anxieux à l’idée qu’il puisse m’arriver quelque-chose, l’étage m’était formellement interdit, comme mille autres choses d’ailleurs dans cette maison.
Ecrire en marge
Cassandre, Presqu’île
Cassandre est une tragédie en 1 acte sur le thème de Cassandre écrite pour Fanes de Carottes en janvier 2010.
Comment Cassandre, qui a conjointement le don de prédire l’avenir et la malédiction de ne pas être crue, envisage-t-elle, ou pas, sa propre fin ? C’est tout le sujet de ce petit texte sans prétention.
Qui sourds n’entendent les prières
Des pauvres barques marinières.Pierre de Ronsard,
Ode à Cassandre in Les meslanges
Kasandra : […] O les choses humaines! si elles prospèrent, une ombre les anéantit, et, dans l’adversité, une éponge imprégnée d’eau en efface la trace! Et c’est sur cela que je gémis plus que sur le reste.
Eschyle, Agamemnon, trad. Leconte de Lisle
Acte final
Cassandre
Que n’ai-je été homme ? Ou muette ? Ou idiote ? Ou mort-née ? Que n’ai-je écrit le passé au présent plutôt que le futur à l’imparfait ? Mon nom est lié irrémédiablement à la cendre volatile, terreuse jusqu’à l’asphyxie. Isolées, mes fines particules semblent inoffensives, mais innombrables, mais démultipliées elles retombent et recouvrent les vivants d’un suaire minéral et donnent aux morts le relief de spectres pétrifiés.
Je suis la pluie de cendres déferlant sur Troie,
Je suis le noir limon charrié par le fleuve incrédule,
Je suis la boue infamante dans laquelle me traîne Ajax…
Le chœur
Cassandre, Cassandre, tu es la fange, tu es l’ornière,
Cassandre, Cassandre, tu es la frange et la frontière,
Tu es la glaise galeuse, le limon où gît le glabre destin
Et le fumier fécond où l’on dresse les triviaux festins.
Cassandre
Ma bouche est pleine de ces braises ardentes, douloureuses et fascinantes : que des mains s’en saisissent, avec cette détermination cupide qui fait dérober tout ce qui brille, elles les repoussent aussitôt, au plus loin, reproduisant ainsi ce réflexe reptilien du rejet, de l’excrétion de ce qu’on ne peut garder contre soi sans souffrance, sans défaillir, sans le jeter avec force vers l’abîme et l’oubli… Et l’on fuit en criant au feu, au diable, à la vermine !
Que des yeux se posent sur ces braises et les voilà médusés et interdits. Immobilité de ce qui sidère : prendre la pose des astres en attendant le désastre. Les yeux du malheur sont toujours hagards, ils cherchent sans trouver, ils sondent l’absence et l’endroit où s’oublier.
La beauté qui irradie de mon être est celle de la flamme :
Sidérante, consumante, hypnotisante jusqu’au létal sommeil.
Je suis la proie prédatrice : j’attire, je captive et je pétrifie ;
Je harcèle, je fulmine, j’effarouche.
L’ombre me dévore davantage que le feu ne ronge le papier.
Mon miroir est sans tain, ma vérité sans fond.
Le chœur
Cassandre, Cassandre, ton nom en sang, ton non en cendre !
Cassandre, Cassandre, dans tes yeux, le souffre de la salamandre,
Dans ta bouche, ta langue fourchue et courbe vitupère.
Dans ta gueule, bouillonne le venin, se love la vipère.
Cassandre (entend un bruit)
Chut ! Tais-toi ! Il me semble entendre le destin avancer à pas de velours. Est-ce toi, Clytemnestre ? Va ! Viens ! Accomplis ce que tu dois.
Viens, entre ! La salle de bain est aussi déserte que le théâtre du meurtre perpétré. Seules nos ombres laiteuses, celle de ton mari Agamemnon enlaçant la mienne, flottent à la surface nébuleuse de l’eau. Nous sommes déjà acteurs jouant aux fantômes qui miment d’antiques acteurs.
Et nous sommes purs. Aussi purs que le fut Iphigénie le jour où Artémis, prise d’un ultime élan de clémence, l’a soustraite au sacrifice paternel. Viens troubler de sang le lait opale dans lequel nos corps emmêlés veillent l’un sur l’autre dans un paisible sommeil. Hypnos nous a recouverts du filet perfide qui nous plonge déjà dans la mort. Approche ! N’aie crainte ! Nos corps émergés sont les rives du Styx où tu noieras ta vengeance, où, par nos veines tranchées, tu liquéfieras cette maudite engeance qui fit ton malheur.
Le chœur (horrifié, lève les bras au ciel)
Cassandre, Cassandre, pourquoi appelles-tu de tes vœux
Celle qui porte en son sein la lame où se profile ta mort,
Cassandre, Cassandre, saisis au vol la chance unique
De dire et d’être crue, excentre-toi du cercle tragique !
Cassandre, Cassandre, n’éprouve aucun remords
A fuir cet épouvantail destin qui, jamais, n’effraya les freux !
Cassandre
Fuir ? Mais pourquoi devrais-je fuir ce qui me libère ? Ce qui me réconcilie avec mes morceaux d’éparses épaves… Depuis toujours je me sens une presqu’île tristement séparée de la terre maternelle qui un jour l’a nourrie, un îlot perdu dans une mer trop vaste et trop houleuse, un morceau de roche fertile et prometteur qui pourtant ne connaît des mouettes que les rires moqueurs et les fientes sèches.
Le chœur
Tu es presqu’île devenue, malgré elle, une île,
Tu es le hiatus du crépuscule, l’ « il y a » des lendemains,
Le soir endeuillé des pierres et la folie rêche du matin,
La voile des barques guerrières et l’hymen saccagé des nubiles.
Cassandre, Cassandre, tu es presqu’île devenue une île,
Une hirondelle rognant son aile sacrifiée à l’éternel exil.
Cassandre
Oui, je suis presqu’île. Et ma parole se détache de moi comme une barque dérivant vers la côte perdue de son enfance, ce lieu où la crainte n’étouffe pas la vérité dans son œuf et celui où l’enfant qui va grandir sait s’empêcher de mentir.
Courage, Clytemnestre, mon adorable, ma meurtrière ! Ne renonce pas, nous sommes toutes des mères bafouées dont le ventre est un nid déserté de l’amour. Ne dis mot, nos discours ne sont que des brindilles qui crépitent quand la forêt se consume sous l’incessant bavardage des flammes. Il restera toujours des cendres pour combler les longs silences hivernaux.
Entre, j’entends battre follement ton cœur au-delà des rideaux qui me servent de paupières, je perçois le bruissement par-delà le seuil qui abrite notre liquide tombeau.
Hâte-toi, entre ! Je suis libre, enfin ! Libérée de cette funeste malédiction qui m’étreint comme un corset trop serré, comme une peau lépreuse, sur ma peau laiteuse, marouflée.
Libérée, car toi, je le sais, tu es la première et tu seras la dernière à boire et à croire les paroles s’écoulant de cette source qui, dans quelques secondes, enfin, sera sèchement, par tes mains, tarie.
Agamemnon (sommeillant)
Mais où vas-tu, ma douce, imaginer toutes ces tragédies ?
Le rideau s’ouvre
Le chœur s’évanouit
Ecrire en margeFoyers
suie de l’âtre
nue est la nuit semant
l’ignescent timon d’hiversuis de l’hêtre
nuée, l’ennui s’aimant,
de lignes et sentiments diverssuie de l’être
muette d’envie aimante
braise incandescente jusqu’à l’étincelle