« Je les épiais entre les feuilles. Sans hâte ils se campaient, levaient le nez, humaient l’air, d’un grand regard neutre embrassaient les horizons, la fuite des sentiers, les troupeaux ; ils échangeaient quelques mots, hésitaient ou disputaient, soudain faisaient un grand geste et quelque chose avait l’air de bougrement les intéresser là-bas, vers un maigre bois où tombait une maigre cascade, au front d’une orée où le jour et l’ombre se disputaient les feuillages comme à longueur d’été ils le font sans que ce heurt naisse autre chose que du feuillage : ils se montraient donc ceci ou cela et je regardais par là-bas moi aussi, j’écarquillais les yeux pour voir ce qu’il y avait de si étonnant, une belle dormant dans ce bois et pourquoi pas y pissant, ou une vraie Notre-Dame enlevée en plein ciel, mais il n’y avait que des feuilles et de l’eau, du ciel. Je m’époumonais dans mon sifflet, l’extase saugrenue les quittaient un peu, ils sortaient de leurs fontes leurs petites affaires, papiers et mines, se mettaient à l’aise, en tailleur sur leurs bottes ou assis sur un talus, et faisaient interminablement de petits dessins. Mais oui — c’étaient les peintres. »
Le roi du bois, Pierre Michon, pp. 30-31
Éditions Verdier poche, 1996