Un labyrinthe peut-il être désert ?

Le Minotaure vieillissant

Le Minotaure vieillissant – Ill. François Robert, tous droits de reproduction réservés.

Que fout le Minotaure ?

Dans les couloirs devenus sinistres, le vent pousse des feuilles de papier qui s’éparpillent en vagues serrées. Il en résulte un bruit de froissement souligné par le sifflement du vent. Rien d’autre, personne. Seul le vide résonne. On pense aux clichés des villes saloons à l’heure où le duel va se jouer. Le calme avant l’orage. L’acmé devenue décor. Le soleil au zénith plaque des ombres plates sur le sol, le ciel est pur mais l’air est chargé d’électricité. Les rues sont désertes. Pas comme un jour férié, non ! désertes comme si elles n’avaient jamais été habitées, comme si, de tous temps, ces façades, ces murs, ces portes avaient été faits de carton pâte, placés là uniquement pour meubler le vide et en même temps révéler la vacuité de la matière. Il y a toujours du vent dans ces scènes : le vent qui meut l’immobile c’est l’absence devenue tangible, c’est la vie retirée de toute présence.

Mais le duel n’aura pas lieu. Faute de duelliste. Il n’y a ni bon ni méchant d’un bout à l’autre de l’artère principale. Ni moulins, ni chevalier errant. La tension dramatique perdure mais l’événement n’a pas lieu : un climax sans tenant et sans aboutissant, une hérésie théâtrale. Mais bon dieu ! que fout le Minotaure ? Peut-il décemment abandonner le labyrinthe sans en détruire sa raison d’être ? Le lieu n’existe-t-il que par la présence du témoin qui l’habite ? «Niemand zeugt für den Zeugen», nul ne peut témoigner pour les témoins, dit Paul Celan. Et un lieu inhabité, – inabrité – devient un non lieu d’un non événement, une création mentale sortie ex nihilo et retournant ad nihilum dans les limbes de l’abstraction.

Mais bon dieu ! que fout le labyrinthe ? Dédale n’avait-il pas garanti, ad vitam eternam, que le Minotaure resterait cloîtré dans ses murs ? Qu’il était infaillible et de ce fait indissociable de l’être qui l’habite, qui lui lui donne sa raison d’être, sa fonction primordiale. Que Thésée, Icare ou bien même Dédale en sortent c’est une chose, mais que le prisonnier même s’absente de sa propre prison, comment est-ce possible ?

Mais qu’est devenu le Minotaure ? Est-il mort ? Est-il parti prendre une retraite méritée sous de paisibles tropiques ? Fatigué d’attendre, a-t-il renoncé à hanter ces lieux ? Lassé de dévorer de jeunes vierges, a-t-il découvert que l’amour peut s’exprimer autrement que par la fusion/absorption ? Quelle a été sa vie, sa jeunesse, quels sont enfin les possibles de ce monstre qui nous ressemble à tel point que nous préférons le tenir enfermé dans une architecture complexe, une matrice infernale ?

De toutes ces questions, de ce climax improbable, il en sera sûrement question dans le réveil de ces labyrinthiques pages. Accompagné de François Robert, ami, peintre et graveur, nous tâcherons de cerner ce mythologique personnage, d’en saisir les contours…

J’ai dans l’idée, comme autre fil rouge d’Ariane parcourant ce lieu, et pour sortir de cette dédale dialectique qui pourrait m’enfermer, d’entamer une errance (écrits, lectures, etc.) autour des Fragments d’un discours amoureux de R. Barthes.

Je tâcherai également de multiplier le travail à plusieurs mains, car si la création et  la réflexion en solitaire nous apportent souvent une grande satisfaction spéculaire, celles à plusieurs nous enrichissent mutuellement. Si d’ailleurs vous avez un projet à me soumettre, n’hésitez pas à ma contacter : sebastien(haro base)labyrinthiques.fr.

Il y aura encore des pages dans un courant d’air, des portraits d’heures de lecture oisive, des ébauches d’écrits…

Le labyrinthe n’est pas désert, non ! Il a juste pris une grande inspiration, un souffle nécessaire, un soupir musical.

8 Comments Un labyrinthe peut-il être désert ?

  1. ekwerkwe

    Le désert est le labyrinthe par excellence et peut donc se passer de gardien: j’essaie de retrouver les références et je t’envoie les scanns de la bédé (c’est une histoire courte dans un recueil de nouvelles de Trillo, je crois).

    Le Minotaure vieillissant serre vraiment le cœur, bravo à François Robert.

  2. Sébastien

    @ infolio…
    C’est une plaisir que de te revoir errer dans les marges du labyrinthes…
    @Caro
    Héhé ! tu vas être servie alors. Barthes il en sera souvent question dans les couloirs à venir… Les fragments seront l’oeuvre privilégiée mais j’envisage de relire son oeuvre complète, donc…

    @ Ekwerkwe
    Je ne parle pas du désert à proprement parler. J’imagine un labyrinthe, des murs labyrinthiques, une prison donc, sans gardien, sans prisonnier, qu’est-ce ? Imagine Ambregris sans sa population… Mais sinon toute contribution est la bienvenue 🙂
    Je sens en effet que la participation de François dans le labyrinthe va apporter beaucoup, comme une incarnation pour le moment absence dans ce dédale… A suivre donc !

  3. sandrine S. G.

    Cher Monsieur,
    Finalement se perdre dans ce blog, plusieurs années après cet article est vertueux. Vous écrivez bien et les passages cités sont éclairants. Si on ne peut pas acquérir tous les livres qu’il nous faudrait lire pour discuter et admettre ou inverser les arguments ici sur Labyrinthique, ou ailleurs, on peut juste lire et faire la liste de ce que l’on ne sait pas.
    Je me suis abonnée et le dernier article m’apporte beaucoup d’air.
    Je n’hésite pas à vous le dire, parce que se savoir lu est gratifiant et encourage à donner encore plus.
    En vous remerciant de cette correspondance verticale, je me permets, non pas de laisser un simple commentaire mais d’écrire comme si le support était encore en papier A la manière d’un écrivain public, à la fois pour soi, et à la fois pour un public.
    Respectueusement,
    S. G.

  4. Sébastien

    Chère Sandrine,
    vous avez tout à fait raison sur la gratification que l’on ressent quand on lit un message tel que le vôtre. Si bloguer revient davantage – plus qu’à ses débuts – à lancer sans cesse des bouteilles à la mer, il est toujours émouvant quand un signe fait pressentir qu’un des messages dans la bouteille a été non seulement lu, mais apprécié.
    J’avais imaginé ce labyrinthe comme un lieu où pouvait émerger, à n’importe quel carrefour, d’étrangères voix à la mienne car il est bon qu’un minotaure ne soit jamais tout à fait seul dans son antre, cela lui ôte toute autorité territoriale et tout discours fermé. Il y a eu par ci par là des interventions (Ekwerkwe, Nu inca…) et j’espère qu’il y en aura d’autres comme votre message écrit dans la lumière de cette marge.
    Merci encore et à bientôt peut-être,
    Amicalement,
    Sébastien

  5. cecileaholdban

    Quel sera le vol de retour?

    Celui dont seules quelques métaphores nous parlent, telles
    sacré, autel, étreinte, retour, enlacement.

    Sous les arbres, dans l’herbe la table est mise
    il n’y a ni premier hôte, ni dernier

    A la fin, comment sera, à quoi ressemblera
    cette chute ascendante, ailes grandes ouvertes
    ce retour au degré flamboyant
    de notre nid commun?

    Je l’ignore.

    Mais s’il est une chose que je connais, c’est cela :
    ce long couloir brûlant
    ce labyrinthe droit comme une longue flèche
    en lequel croît, toujours plus dense, plus libre
    La réalité de notre vol.

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