Les arbres s’effacent aussi

Ce lieu, bientôt, va m’être,
je le sais,
trop étroit
Pour que puisse encore
s’épanouir mon hêtre,
Pour recevoir du vent,

encore,

une autre caresse.

Je vais hisser la grand voile.

Disparaître.

Me fondre derrière
ce triangle blanc
Qui, désormais, va me gouverner.

Et partir

Jusqu’à n’être, à l’horizon,
que ce voile brumeux
Qui drapera
ce que je fus.

 

 

Créé à l’époque pour les fanes de Carottes je rapatrie cette création en guise de clin d’œil pour une personne très chère… Pour la photo je renvoie à cet autre article où j’explique le pourquoi de ces voiles dans un arbre..

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L’été — Albert Camus

Noces
suivi de L’été

Albert Camus,
Gallimard, 1954

L'été, Albert Camus, Gallimard, 1954

« N’être rien ! » Pendant des millénaires, ce grand cri a soulevé des millions d’hommes en révolte contre le désir et la douleur. Ses échos sont venus mourir jusqu’ici, à travers les siècles et les océans, sur la mer la plus vieille du monde. Ils rebondissent encore sourdement contre les falaises compactes d’Oran. Tout le monde, dans ce pays, suit, sans le savoir, ce conseil. Bien entendu, c’est à peu près en vain. Le néant ne s’atteint pas plus que l’absolu. Mais puisque nous recevons, comme autant de grâces, les signes éternels que nous apportent les roses ou la souffrance humaine, ne rejetons pas non plus les rares invitations au sommeil que nous dispense la terre. Les unes ont autant de vérité que les autres.

Voilà, peut-être, le fil d’Ariane de cette ville somnambule et frénétique. On y apprend les vertus, toutes provisoires, d’un certain ennui. Pour être épargné, il faut dire « oui » au Minotaure. C’est une vieille et féconde sagesse. Au-dessus de la mer, silencieuse au pied des falaises rouges, il suffit de se tenir dans un juste équilibre, à mi-distance des deux caps massifs qui, à droite et à gauche, baignent dans l’eau claire. Dans le halètement d’un garde-côte, qui rampe sur l’eau du large, baigné de lumière radieuse, on entend distinctement alors l’appel étouffé de forces inhumaines et étincelantes : c’est l’adieu du Minotaure.

Il est midi, le jour lui-même est en balance. Son rite accompli, le voyageur reçoit le prix de sa délivrance : la petite pierre, sèche et douce comme un asphodèle, qu’il ramasse sur la falaise. Pour l’initié, le monde n’est pas plus lourd à porter que cette pierre. La tâche d’Atlas est facile, il suffit de choisir son heure. On comprend alors que pour une heure, un mois, un an, ces rivages peuvent se prêter à la liberté. Ils accueillent pêle-mêle, et sans les regarder, le moine, le fonctionnaire ou le conquérant. Il y a des jours où j’attendais de rencontrer, dans les rues d’Oran, Descartes ou César Borgia. Cela n’est pas arrivé. Mais un autre sera peut-être plus heureux. Une grande action, une grande œuvre, la méditation virile demandaient autrefois la solitude des sables ou du couvent. On y menait les veillées d’armes de l’esprit. Où les célébrerait-on mieux maintenant que dans le vide d’une grande ville installée pour longtemps dans la beauté sans esprit ?

Voici la petite pierre, douce comme un asphodèle. Elle est au commencement de tout. Les fleurs, les larmes (si on y tient), les départs et les luttes sont pour demain. Au milieu de la journée, quand le ciel ouvre ses fontaines de lumière dans l’espace immense et sonore, tous les caps de la côte ont l’air d’une flottille en partance. Ces lourds galions de roc et de lumière tremblent sur leurs quilles, comme s’ils se préparaient à cingler vers des îles de soleil. Ô matins d’Oranie ! Du haut des plateaux, les hirondelles plongent dans d’immenses cuves où l’air bouillonne. La côte entière est prête au départ, un frémissement d’aventure la parcourt. Demain, peut-être, nous partirons ensemble.

L’été, Albert Camus, Gallimard, 1954
Fin du 1er chapitre intitulé : Le minotaure ou la halte d’Oran

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Synesthésies

Il est des personnes, des synesthètes, dont l’écoute des sons provoque invariablement une impression de couleurs…

Je les envie de pouvoir regarder en couleur ce magnifique concerto en sol de Ravel.

 

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes… »

A. Rimbaud

Vassily Kandinsky

Le rôle de chaque instrument dans la symphonie me permit de revenir sur cette question des couleurs. Je fis remarquer à Gertrude les sonorités différentes des cuivres, des instruments à cordes et des bois, et que chacun d’eux à sa manière est susceptible d’offrir, avec plus ou moins d’intensité, toute l’échelle des sons, des plus graves aux plus aigus. Je l’invitai à se représenter de même, dans la nature, les colorations rouges et orangées analogues aux sonorités des cors et des trombones, les jaunes et les verts à celles des violons, des violoncelles et des basses ; les violets et les bleus rappelés ici par les flûtes, les clarinettes et les hautbois. Une sorte de ravissement intérieur vint dès lors remplacer ses doutes :
– Que cela doit être beau ! répétait-elle.
Puis, tout à coup :
– Mais alors : le blanc ? Je ne comprends plus à quoi ressemble le blanc…
Et il m’apparut aussitôt combien ma comparaison était précaire.
– Le blanc, essayai-je pourtant de lui dire, est la limite aiguë où tous les tons se confondent, comme le noir en est la limite sombre. – Mais ceci ne me satisfit pas plus qu’elle, qui me fit aussitôt remarquer que les bois, les cuivres et les violons restent distincts les uns des autres dans le plus grave aussi bien que dans le plus aigu. Que de fois, comme alors, je dus demeurer d’abord silencieux, perplexe et cherchant à quelle comparaison je pourrais faire appel.
– Eh bien ! lui dis-je enfin, représente-toi le blanc comme quelque chose de tout pur, quelque chose où il n’y a plus aucune couleur, mais seulement de la lumière ; le noir, au contraire, comme chargé de couleur, jusqu’à en être tout obscurci…

[…]

Ainsi j’expérimentais sans cesse à travers elle combien le monde visuel diffère du monde des sons et à quel point toute comparaison que l’on cherche à tirer de l’un pour l’autre est boiteuse.

Gide, La symphonie pastorale, Ed. Gallimard

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Feue Salamandre — Exposition

Feue Salamandre

Exposition de Cécile Berthereau
sur des textes
de Sébastien de Cornuaud-Marcheteau
à la GALERIE KAYODE

Feue la salamandre - Encres et aquarelles par Berce

 

 

 

« Mal à la cendre, mal à la cendre… »

Telle est la voix,
qui en écho
Se perd
– de minéraux en minéraux –
De la salamandre,
la salamandre…

« Quel tison navrant
saura m’atteindre,
Moi qui n’ai que cendres
pour tisser ma peau ? »

 

 

 

Du 2 février au 30 mars 2011
Vernissage le 2 février 2011 à 19h

L’exposition « Feue Salamandre » est une des issues possibles de la rencontre entre un texte – poétique, inachevé, « morcellaire » – et une pratique plastique – fragile, en équilibre sur un fil, « morcellaire ».

Planches graphiques, objets naufragés, livres disséqués occupent l’espace de la Galerie Kayodé comme les vestiges d’un drame antique à recomposer. De cette archéologie du souvenir, de l’anatomie de la douleur, du deuil juxtaposé peut surgir une image mystique : le mythe réinvesti de la salamandre.

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Boece on my Mind — Collectif Division Janacek

Boece on my Mind #1

Texte et jeu : Arnaud POUJOL
Musicien : Serge KORJANEVSKI
Plasticien : François ROBERT

Dans le cadre du Festival 30 »30′
Les 21 et 22 janvier 2010, 19h30 et  22h30 au Glob Théâtre

Dionysos lacéré par les Titans, l’aveuglement d’Œdipe, l’émasculation d’Attis, la crucifixion du Christ, l’histoire de l’art est traversée par la nécessité de donner une représentation de la violence et de la transgression des tabous qui sont à l’origine de la plupart des mythes fondateurs. En quoi ces représentations nous sont nécessaires? Quelles délivrances elles engendrent? Que risque une société qui s’affranchit de la possibilité salvatrice de la représentation? Faut-il parler d’abréaction, de catharsis ou bien de Joie tragique? Pourquoi Boèce (le latin) soumis à la question, le corps rompu, se tourne vers la Grèce comme dans un ultime viatique ou une trahison joyeuse?

 La Division Janacek est un pacte d’association d’artistes et de citoyens qui dit la nécessité et l’organisation du conflit dans un espace qui lui est dévolu afin de libérer la parole publique de tout ce qui l’excède.

Le collectif revendique la voix outrancière et poétique du Démos, là où notre époque impose l’art d’agrément profitant très largement du rapport déréalisé entre les êtres et de la mise en concurrence du geste dramatique avec d’autres formes spectaculaires qui n’ont vocation qu’à divertir.


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