Esperluette

Travail sur l’établi, « Minotauring » est une série de textes en prose compacts et resserrés qui verra le jour sous la forme d’un livre d’artiste réalisé avec l’amitié, l’amour de la gravure (et d’une certaine forme de mythologie) de François Robert. Les textes (qui ne sont pas définitifs) seront présentés sous forme d’image pour rester au plus près de l’idée de sa présentation finale.

esperluette - (c) Sébastien de Cornuaud-Marcheteau

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Minotoreador

Travail sur l’établi, « Minotauring » est une série de textes en prose compacts et resserrés qui verra le jour sous la forme d’un livre d’artiste réalisé avec l’amitié, l’amour de la gravure (et d’une certaine forme de mythologie) de François Robert. Les textes (qui ne sont pas définitifs) seront présentés sous forme d’image pour rester au plus près de l’idée de sa présentation finale.

minotoreador - (c) Sébastien de Cornuaud-Marcheteau

 

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Véniels — Bernard Manciet

Extrait
de L’Enterrament a Sabres

[…] « trop chargée je fais eau je penche
je suis la lande qui a perdu un sabot
pour entrer dans une étrange rade de matin
les oiseaux blancs à grands coups d’ailes me fêtent
j’avance vers la ligne d’argent d’une vague
et d’autres rades naissent en passant
elles tirent des traits d’argent
de grands chantiers vivants m’accompagnent
j’avance dans le nickel »

Poésie/Gallimard, p. 401

De Bernard Manciet, j’avais déjà lu L’Enterrament a Sabres – offert par mon ami François Robert – qui est un Requiem chanté avec le souffle épique de la Légende des siècles, mais en gascon noir. En patois donc, fièrement, organiquement : on parle et on écrit la langue de sa mère dit-il ; non pour se justifier mais pour affirmer sa filiation, sa généalogie vernaculaire. L’enterrement à Sabres est une œuvre exigeante dans sa lecture – de surcroît quand on ne lit pas le gascon comme moi mais qu’on ne peut s’empêcher d’écouter la phrase originale sur la page opposée – absolument épique par la profusion d’une langue mature et moderne qui,  loin du folklore et des clichés, explore son pays tel qu’il est, tel qu’il mérite d’être lu (legenda). Comme le souligne Jacques Roubaud en préface : ce livre « n’est pas seulement un témoignage. C’est une preuve de la langue gasconne ». 

Véniels

avec des dessins de l’auteur
Bernard Manciet
Éditions de l’Escampette, 1996

Véniels -- Bernard Manciet

 

Mais c’est de Véniels dont je veux parler ici. Et je n’ai pas trouvé ce livre par hasard. C’est son titre qui m’a d’abord attiré. Explications.

Téléscoperie(s)

Véniel, Philippe de son prénom, est un ami de mes parents de longue date. Artiste, peintre, collagiste, musicien, explorateur des littératures orales et des musiques traditionnelles, réalisateur, écouteur et raconteur d’histoires  à ses heures ((Je ne peux que vous conseiller d’écouter ces entretiens fabuleux intitulés « Sur un coin de table » réalisés dans le cadre du Parc interrégional du Marais poitevin : on y rencontre les vraies gens dans leur territoire comme on lirait des livres dans des maisons.)). Rapport d’homonymie donc, mais ce n’est pas tout.

Ardent défenseur du patois, Philippe publia sur sa page Facebook il y a quelques jours une synthèse de l’évolution lexicologique et idéologique du mot PATOIS dans les divers dictionnaires de la langue française. Je me permets de la reproduire ici, tant ces entrées dans les dictionnaires parlent d’elles-mêmes.

– Richelet, 1680, Dictionnaire français des mots et des choses : « sorte de langage grossier d’un lieu particulier et qui est différent de celui dont parlent les honnêtes gens » et « les provinciaux qui aiment la langue viennent à Paris pour se défaire de leur patois » ; « langage corrompu et grossier, tel que celui du menu peuple, des paysans, et des enfants qui ne savent pas encore bien prononcer».

 – Furetière, 1690, Dictionnaire universel : « on donne aussi quelquefois, par extension, le nom de patois à certaines façons de parler qui échappent aux gens de province souvent même quelque soin qu’ils prennent pour s’en défaire » ; 1762, 1798, 1835, 1879).

 – L’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot (1751-64) : « (grammaire) langage corrompu tel qu’il se parle presque dans toutes les provinces : chacune a son patois ; ainsi nous avons le patois bourguignon, le patois normand, le patois champenois, le patois gascon, le patois provençal, etc. On ne parle la langue que dans la capitale. Je ne doute point qu’il n’en soit ainsi de toutes les langues vivantes et qu’il n’en fût ainsi de toutes les langues mortes. Qu’est-ce que les différents dialectes de la langue grecque, sinon les patois des différentes contrées de la Grèce ? » ;

 – Dictionnaire critique de la langue française, Féraud, 1788) : « le premier degré de corruption dans les langues, vient du défaut d’éducation ou d’un manque d’attention au bon usage. Le second, du mélange de l’ancienne avec la nouvelle façon de parler, qui a formé divers langages particuliers, qu’on nomme patois dont la connaissance peut servir à pénétrer dans l’origine des langues et des peuples. Tels sont le bas-breton, l’auvergnant, le provençal, etc. » (l’Abbé Girard).
« …un reste de l’ancien patois (la langue gauloise) s’est encore conservé chez quelques rustres dans cette province de Galles, dans la Basse-Bretagne, dans quelques villages de France ». (Voltaire)

– Dans la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie Française (1932-35) ; dans les éditions des XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles : « variété d’un dialecte, idiome propre à une localité rurale ou à un groupe de localités rurales » et « par analogie, dans un sens péjoratif, langue pauvre et grossière, empreinte de rusticité ou de vulgarité ».

Trésor de la langue française (1971-94) : « parfois péjoratif, parler essentiellement oral, pratiqué dans une localité ou un groupe de localités, principalement rurales ».

Évidemment, venant des dictionnaires érigés en défenseur de la langue française normative (contre toutes les « déviations » d’où elle puise ses origines), on ne pouvait guère espérer de louanges. Mais force est de reconnaître que les termes sont méprisants, hautains voire aristocratiques, ignorants, bassement moraux. Il faut voir dans cette vergogne du patois le signe d’un refoulement sociologique et idéologique de la pluralité et de la protéiformité de tous les substrats d’où émerge ce français si normé et centralisé en la capitale ((On peut finalement s’étonner que l’académisme ait eu la même action que le christianisme vis à vis de son passé linguistique et païen : réécriture, intégration, nivellement et manichéisme… Il y a la bonne langue parlée et toutes les autres comme il y a le bon croyant et les mécréants… )) : faire table rase du passé pour accréditer sa propriété et son esthétique sui generis. C’est comme scier des branches entières de son arbre généalogique pour faire disparaître des cousins trop gênants…

Par cet article, je veux te rassurer Philippe : le patois offre des bijoux de littérature, de poésie, de contes que le lecteur un peu curieux peut cueillir, au détour d’une librairie ou d’une bibliothèque, peut découvrir et écouter – car n’oublions pas que les patois sont avant tout des langues vivantes – lors des (trop peu) nombreux spectacles vivants produits (et tu en sais quelque-chose) pourvu qu’il s’émancipe de tous les aprioris appris, les déférences historiques et nationalistes, de cet orgueil académique qui, tout au long de l’histoire, a agit dans la restriction, la licence, la censure plutôt que dans la diversité, l’interaction et le respect du peuple à conserver sa langue locale (et qui n’est pas incompatible avec une langue dite nationale, de communication commune).

Tout cela pour dire que, trouvant par hasard ce livre intitulé Véniels et écrit en gascon, j’y ai lu comme le télescopage de signes convergents. Et il n’en faut guère plus pour choisir un livre et faire de nouvelles rencontres.

 Les occasions vénielles

Véniels Bernard Manciet(Escasenças) : plaisirs véniels, péchés véniels… Véniel provient du latin veniales, venia qui signifie grâce et faveur. L’ancien français le transforme en pénitence avec l’expression prendre venie qui sous-entend déjà l’idée de pardon. On retient surtout en français moderne l’acception théologique dans l’expression péché véniel qui désigne une « faute digne de pardon (opposé à péché mortel) » (le Petit Robert). D’une manière générale et par glissement sémantique véniel finit par désigner les fautes légères. On trouve également venia en ancien provençal  pour désigner la génuflexion. Cette dernière acception donne une orientation de lecture résolument plus érotique au recueil et je ne suis pas loin de penser que l’auteur a joué de cette ambiguïté en traduisant Escasenças en Véniels. Bernard Manciet en effet n’a pas traduit littéralement Escasenças qui désigne les hasards, les occasions. Per escasenças : à l’occasion.

A la lumière des ambiguïtés de ce double titre, la lecture des sept poèmes (Vanille, Laure, Truite, Dune, Lunaire, Pluviôse et Lézard) qui composent le recueil peut alors prendre ou entremêler des chemins divergents : aveu sans pénitence de péchés véniels liés au désir et à la passion amoureuses, de la femme ou de la nature ; blasons sensuels du corps féminins comme un bestiaire élémentaire sur l’autel du plaisir et de la déraison ; et enfin, pris sur le vif, on peut y apercevoir des instantanés du hasard, des visions fugaces dérobées à l’occasion…

J’ai trouvé dans le rythme, dans la recherche paradigmatique (parfums de vanille et laurier, bestiaire inattendu : truite et lézard, éléments naturels, le thème récurrent du bateau, etc.), une filiation baudelairienne : jeu subtil d’évocation des corps, dans leurs parties les plus intimes, dans leurs jeux les plus secrets, sensualité de la nature omniprésente, oscillation permanente entre le prosaïque et le sublimé, langue tressautant comme au bord d’un orgasme mais retenue, mais maîtrisée… Et comme Baudelaire on voit poindre à chaque strophe un nombre incalculable de correspondances où la nature se fait chair et la chair dune… et pourtant, le mot femme n’y est jamais prononcé (à moins que les dessins à l’encre de l’auteur ne disent le mot femme en calligraphie arabe :  « Lézard, tu écris sur mon cœur en arabe », Lézard). Car les dessins épurés à l’encre de chine de l’auteur – corps de femmes ondulés, offerts, reposés, stylisés pour ne devenir d’un pictogramme unique – ponctuent ces poèmes et jouent avec le texte comme chat et souris dans la nuit de la page blanche.

Pour finir un extrait de Dune/Duna pour permettre d’apprécier, par transposition, la langue si imagée si musicale de ce grand poète qui, n’en déplaise à l’académie, écrit dans un patois à faire pâlir de jalousie nombre de poètes de langue française normalisée ((Écrivant cette phrase, je perçois le paradoxe : nul poète ne sortant jamais de sa langue – comme on sort en un lieu inconnu, un soir sans lune – nul poète ne dénormalisant sa langue pour la contraindre à sortir son col du joug historique qui la maintient enchaînée ne devrait se revendiquer poète – et ce n’est pas les rimailleurs qui manquent à l’appel)).

Duna d’espuma e d’alenada
qu’abraci lo saure pitrau
deu jorn ardon en taua rada

e l’ala prima deu cèu nau

enter-pèth-e-carn gron de lenca
d’ortic de pera o pan de blat
sable e sus costèra eslanca
ton còr aqueth gron de bautat

garba d’ambra que te d’àrder
harguèi marme bramèi arbe
carbe t’nharrèi e mostarda
larga que te cargui garba

 

Dune d’écume et d’haleine
j’enserre la poitrine dorée
du jour arrondi en cette rade
et l’aile frêle du ciel neuf

à fleur de peau ce grain de langue
d’ortie de poire ou pain de seigle
sable et sur ta pente subtile
ton cœur ce grain de beauté

gerbe d’ambre qu’en brûlant
je forgeai marbre et bramai arbre
te mordis chanvre et moutarde
je t’emporte belle gerbe

 


Un dernier mot pour signaler le magnifique travail d’édition (couverture, typographie, reproduction des dessins) des Editions de l’Escampette (dont on peut lire chez De Litteris  une critique enthousiaste). En outre, je souligne la robustesse de l’ouvrage qui n’a pas cédé sous la trentaine de lectures que je lui ai infligée.


 

Prolongements, ailleurs

Lem Urien : Parler de « patois » à propos du gascon me semble quand même très peu approprié : c’est à faire frémir jusqu’au plus réactionnaire et au plus bouché des linguistes contemporains.
A noter que la traduction française est, dans *Véniels*, bien plus proche du texte gascon que dans *L’Enterrement à Sabres*, dont c’est une petite faiblesse — si tant est qu’il puisse y avoir des faiblesses dans ce texte magnifique.
 
Sébastien : L’idée de cet article est justement d’abolir l’idée d’une hiérarchisation entre langue normative, langues régionales et patois (cf. les références lexicographiques qui n’ont de cesse de créer des barrières). A ce titre, Bernard Manciet faisait également frémir plus d’un puriste gascon (en jouant justement de sa propre langue, en la triturant, en la faisant vivre tout simplement) lui qui refusait tout enfermement dans le « régionalisme » (« Je me bats depuis quarante ans pour empêcher que ce travers qui consiste à enfermer la culture occitane ne devienne un vice« ). « Parler la langue de sa mère » (qui dit que la langue est avant tout une filiation, une habitude, avant que d’être uniquement inscrite dans un territoire) me semble en effet l’élément le plus essentiel de sa position vis-à-vis de la langue : c’est mon point de vue bien entendu et je comprends que cela vous fasse réagir. Vous faites bien de souligner la justesse de la traduction dans ce recueil (sauf finalement le titre ??) : je n’ai pas suffisamment de connaissance en gascon pour pouvoir l’affirmer..

 

Poursuivre la rêverie

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Si peu, tout — Vincent Motard-Avargues

Si peu, tout

Vincent Motard-Avargues
Éditions Éclats d’encre, 2012
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Si peu, tout -- Vincent Motard-Avargues

Un coup d’éclats d’encre

Avant de commencer la lecture de ce recueil de poèmes, je voulais, car je l’ai omis lors de mon dernier article sur Pierre Cendors, remercier vivement Sandrine Fay, l’éditrice d’Eclats d’encre. Pour sa disponibilité, tout d’abord, car il est toujours agréable de correspondre avec une éditrice attentive aux lecteurs qui la sollicitent, allant même jusqu’à suggérer des lectures qui font mouche, tel ce Si peu, tout de Vincent Motard-Avargues, mais aussi Bernard Schürch (qui sera l’objet d’un futur article, j’y reviendrai). Attention professionnelle diraient ironiquement certains mauvais esprits mais c’est avant tout une vraie rencontre et beaucoup d’attentions dans un monde où le temps avance si vite qu’on n’a pas toujours le temps d’en être dispendieux. Et puis aussi, et je me permets de joindre la parole de Vincent ((Informé par Sandrine Fay, j’ai eu le plaisir de rencontrer Vincent Motard-Avargues lors d’une lecture à Gradignan, à la librairie Espaces Livres, en compagnie d’une autre poétesse : Brigitte Giraud, auteur du récent recueil Seulement la vie, tu sais aux éditions Raphaël de Surtis. Je reviendrais sans doute sur ce livre que je n’ai pas encore lu.)) pour souligner l’énorme travail qu’elle accomplit au quotidien, auprès des auteurs (ça c’est lui qui me l’a dit), auprès des lecteurs et également pour la poésie en générale. Pour l’idée même de la poésie vivante, de la parole vive. On peut regretter que la poésie contemporaine soit une des parties les moins visibles de « l’industrie littéraire », qu’elle ne soit pas dotée d’un plus large public, d’un plus large soutien de la part de l’État (qui retire cette année une grande partie des aides accordées pour le Printemps des poètes, retrait qui d’ailleurs ampute, à mon avis, davantage le spectacle vivant que la poésie, car il n’est besoin de rien pour écrire ou lire de la poésie) mais la poésie est debout, peut-être chancelante pour certains, mais debout. Elle ne rampe pas plus, ni n’a le privilège de la distinction comme l’affirmait avec véhémence Léo Ferré dans les année 70. Les temps sont durs, durs pour la culture en général, très durs pour la poésie en particulier, mais heureusement il y a toujours, et je pense souhaite qu’il y aura toujours des Sandrine Fay, des Angèle Paoli, des Florence Trocmé, et beaucoup d’autres (je ne peux pas tous les citer ici mais j’ai volontairement mentionné des femmes qui font de leur engagement dans la défense de la poésie un exemple), des revues poétiques (je pense à Recours au poème qui plus qu’un blog, est un espace vivifiant dans lequel se meut la parole poétique plurielle), des associations ou tout simplement des poètes pour lui faire garder sa dignité et sa rage d’exister. Et pour rendre quelque peu visible, lisible ce qui est écrasé et noyé dans la masse (parfois effrayante) du marketing littéraire global. Au nom des lecteurs et des amoureux de poésie, dont je ne suis qu’une ombre parmi d’autres, merci. Continue reading

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Chant runique du vide — Pierre Cendors

Chant runique du vide

Pierre Cendors,
Éditions Éclats d’encre, 2010
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Chant runique du vide, Pierre Cendors, Ed. Eclats d'encre

Pour ceux qu’elle aura choisis, c’est peu de visiter la Bretagne. Il faut la quitter en souhaitant d’y vivre, l’oreille collée contre ce profond coquillage en rumeur. Et son appel est celui d’un cloître au mur défoncé vers le large : la mer, le vent, la terre nue et rien. C’est ici une province de l’âme. ((Cet extrait de la citation de Gracq est l’incipit du recueil de poèmes de Pierre Cendors.)) «Les Celtes, écrit Flaubert dans Salammbô, regrettaient trois pierres brutes, sous un ciel toujours pluvieux, au fond d’un golfe rempli d’îlots ((Voici la citation de Flaubert dans son contexte initial, à savoir les différents rites funéraires des contrées et civilisations lointaines :
« Les Grecs, avec la pointe de leurs glaives, creusèrent des fosses. Les Spartiates, retirant leurs manteaux rouges, en enveloppèrent les morts ; les Athéniens les étendaient la face vers le soleil levant ; les Cantabres les enfouissaient sous un monceau de cailloux ; les Nasamons les pliaient en deux avec des courroies de bœufs, et les Garamantes allèrent les ensevelir sur la plage, afin qu’ils fussent perpétuellement arrosés par les flots. Mais les Latins se désolaient de ne pas recueillir leurs cendres dans les urnes ; les Nomades regrettaient la chaleur des sables où les corps se momifient, et les Celtes, trois pierres brutes, sous un ciel pluvieux, au fond d’un golfe plein d’îlots. »
Salammbô
, G. Flaubert, Ch. XII
A noter que cette citation est reprise également par Pierre Loti, dans Mon frère Yves, avec lequel Pierre Cendors partage une affection pour les grands espaces vides, avec pour preuve, et ce sera le dernier intertexte  enchâssé, ces extraits de Pêcheur d’Islande :
« Mais c’était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien ; elle traînait sur les choses comme des reflets de soleil mort. Autour d’eux, tout de suite commençait un vide immense qui n’était d’aucune couleur, et en dehors des planches de leur navire, tout semblait diaphane, impalpable, chimérique.
L’œil saisissait à peine ce qui devait être la mer : d’abord cela prenait l’aspect d’une sorte de miroir tremblant qui n’aurait aucune image à refléter ; en se prolongeant, cela paraissait devenir une plaine de vapeur, – et puis, plus rien ; cela n’avait ni horizon ni contours.» p. 15
« Et cette éclaircie était triste à regarder ; ces lointains entrevus, ces échappées serraient le cœur davantage en donnant trop bien à comprendre que c’était le même chaos partout, la même fureur – jusque derrière ces grands horizons vides et infiniment au delà : l’épouvante n’avait pas de limites, et on était seul au milieu ! » p. 80)).  »

Julien Gracq, Lettrines, Ed. Corti, 1967

 

Le recueil place le prélude de son chant dans un contexte – et un intertexte – qui se tient à l’aplomb du large, au-dessus du grand vide, de ce dénuement qui emprunte l’épaisseur aux seuls éléments ; l’horizon et le livre ouverts. Trois parties (« Chant runique du vide », « L’errance du vide », « L’intime du large », les textes ont parus antérieurement dans plusieurs revues) jalonnent ce qu’il faut déjà entrevoir comme un voyage initiatique, une quête d’un lieu ou d’un état originel qui demande de se désabriter (pour reprendre un thème qui m’est cher), de se déposséder des strates, des habits que nous arborons pour singulariser notre personnalité, que sont le langage, « ce fouissement verbeux », les leçons apprises (« Un peu d’ignorance pour que la connaissance devienne adulte« ), le « déracinement visuel » des villes… Continue reading

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